Merci à A. M., indéfectible copine, bourlingueuse lointaine et si présente à la fois, qui m’a fait découvrir ce film…
Depuis deux jours, il y a ce film, Margarita with a straw :
Si vous êtes ami-e-s sur Facebook avec moi, vous n’avez pas pu le rater : j’en parle à tout le monde, je suis surexcitée… Jamais aucun film ne m’avait fait cet effet-là. D’habitude, je ne me laisse jamais vraiment atteindre par les films (à part In the mood for love, de Won Kar Waï et Cris et Chuchotements, de Bergman ; mais c’est que ce sont les plus beaux films de tous les temps !). D’habitude, je mets les films à distance de moi. Je ne pleure presque jamais devant les films – à part, c’est vrai, Rox & Rouky et Le Tombeau des Lucioles, mais j’avais huit ans et ils en faisaient des tonnes sur l’abandon du renard et la mort de la petite sœur. Je ne pouvais que pleurer. Ils ont bien réussi leur coup, ces saligauds !). D’habitude, je me méfie des films, et surtout s’ils traitent de handicap. Quand j’entends parler d’un film qui va sortir traitant du handicap, je me dis : « Ils vont refaire le coup d’Intouchables. Des millions d’entrées, pour que les gens se rassurent sur leur bonne conscience et leur capacité à plaindre le pauvre (‘fin, riche, en l’occurrence) petit handicapé ! Encore une fable facile sur le handicap ! ». Voilà ce que je me dis, voilà ma méfiance envers les films, et même envers Margarita with a straw, quand j’ai commencé à le regarder…
C’est l’histoire d’une jeune fille indienne sur fauteuil, qui a des amoureux, des chagrins d’amour, qui va à New-York pour étudier, qui va aux manifs, rencontre une amoureuse, etc. Elle est triste, elle est joyeuse, euphorique même, irrespectueuse, paumée, désirante, désirée… elle est loyale, elle est infidèle, elle doute. Elle n’a pas besoin de figure messianique. Elle se sauve toute seule, ou alors n’a même pas besoin d’être sauvée. Le film la représente dans toute son humanité. Il n’efface en rien le handicap – le rapport complexe aux parents, les questions liées à la dépendance – mais il ne le représente pas non plus de façon monolithique.
Alors que s’est-il passé ? Pourquoi ça a marché ? Pourquoi je laisse tant de moi dans ce film, dont l’héroïne est à la fois très éloignée de moi, mais si proche de moi ? C’est, je crois, parce qu’elle me fait toucher à la joie d’être représentée et donc à l’émerveillement de se sentir représentable, et donc comprise. Oui, parce que je comprenais et je me sentais comprise. Je comprenais ce que le personnage ressentait quand elle parlait aux autres, quand elle recevait la nouvelle de son admission pour New-York, quel aboutissement c’était, quels enjeux elle y mettait, mais aussi quelle galère ça allait être de partir loin de la maison parentale. Je comprenais son choix de quitter la facilité du cocon familial ou d’une école mixte accueillant des élèves handicapés et des élèves valides, pour aller dans l’inconfort, la solitude, l’incertitude, et les difficultés du vaste monde, avec son corps indompté qu’elle devrait confier à des mains inexpertes et pas toujours très tendres. La facilité, oui, mais pour quelle vie , pour quel avenir ? Si la difficulté est le prix à payer pour une existence avec un avenir alors je prends sans paraître avoir peur, sans paraître douter. Comme un bon petit soldat. Je comprenais tout ça.
Je comprenais aussi ce qu’elle pouvait ressentir lorsque, par exemple, ayant gagné avec son groupe une compétition de musique, elle s’entend dire : « Lorsque nous avons appris que la parolière était handicapée, nous leur avons décerné le prix sans hésiter ». Je comprenais son humiliation publique et que tout son travail s’en trouvait tout à coup détruit. Je comprenais tout cela et tant d’autres choses encore. Je comprenais et j’étais comprise.
Comme je le disais à une amie, le problème, quand on est handi-e, c’est qu’on n’a pas – ou très peu – de figures positives au cinéma ou en littérature (un peu comme pour l’homosexualité en somme. Quoiqu’en littérature, il y en a), dans les médias, ou de modèles ou d’exemples, in real life, qui réussissent dans des domaines valorisants et valorisés. On ne sait donc pas si ses désirs ou ses aspirations appartiennent au champ des possibles ou non. Ca devait être un peu pareil pour les femmes au début du siècle. C’est le problème d’être pionnier-e : le/la pionnier-e défriche le champ des possibles pour celles et ceux qui arrivent après lui/elle, mais se prend dans la gueule toutes les ronces et autres mauvaises herbes de l’impossibilité. Au moins, le/la pionnier-e pourra se souvenir en se faisant un herbier, avec toutes ces mauvaises pousses qu’il/elle a cueillies : « C’est pas possible qu’elle ait 19 à son contrôle. Ce doit être son aide de vie qui doit faire à sa place. » ; « Si on lui donne de si bonnes notes à l’écrit et à l’oral, c’est parce qu’elle est handicapée » ; « à quoi ça sert qu’elle apprenne l’anglais ? De toute façon, elle ne pourra jamais le parler » ; « à quoi ça sert qu’elle fasse prépa ? De toute façon, elle ne pourra jamais partir de Montpellier… ».
Je m’arrête là… ce serait trop long si je devais étaler tout mon herbier. De toute façon, ces mauvaises herbes, herbes folles, herbes qui coupent et font saigner, ne me piquent plus les jambes désormais, car quand on sait la fin du film, le début fait moins peur.
[…] émotion m’a prise tout à coup, semblable à celle que j’ai pu éprouver en regardant Margarita with a straw. La joie d’être visible, enfin représentée. Comme vous le savez, je suis traumatisée par les […]
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