« Quel courage ! »

                En retraçant le parcours musical de ma généalogie amoureuse/relationnelle, j’ai repensé à la question du courage, que je me posais sans cesse quand j’étais adolescente. C’est quoi, vraiment, le courage ? Je me méfie de ce mot, je ne l’aime pas. Que de fois on me l’a lancé au visage, par des gens qui ne connaissaient rien de ma vie, de mes peurs, de mes aspirations ! Dans les couloirs du collège catho, j’entendais souvent les dames de la catéchèse s’extasier sur mon passage : « Quel courage ! ». Certes, au début, ça me flattait : à onze ans, on n’a de cesse de vouloir se sentir exceptionnelle, on aime bien l’idée d’être admirée, quelle qu’en soit la raison ; mais très vite, j’ai senti qu’il y avait un problème, même si je n’aurais su dire quoi. Après tout, ces dames étaient toutes bien gentilles, et je leur souriais en passant, parce qu’il fallait se montrer polie avec tout le monde au collège. Et elles étaient contentes que je leur souris. Et tout allait bien. Alors pourquoi ça me gênait, un peu, puis de plus en plus ? Pourquoi ce mot « courage », que j’avais aimé pourtant, m’agaçait et me paraissait de plus en plus creux ?  

                Et puis, il y a eu mon premier amour. Il y a eu le lesbianisme, les mille questions à affronter seule en silence, tous mes repères qui s’écroulaient, la peur. La vraie peur. Et puis, un peu avant mes quinze ans, cette décision de ne plus me penser hétéro, de changer d’étiquette, d’abandonner la dernière parcelle de normalité, croyais-je, encore à ma portée. Pour moi, c’était la première fois que je faisais preuve de courage. Décider ça, même si j’étais terrifiée, même si je n’avais pas encore de communauté à qui m’en remettre, accepter l’arrachement, cette impression de ne plus rien savoir de soi.  Les dames de la catéchèse avaient beau dire, je ne les croyais plus, car elles-mêmes ne semblaient pas savoir vraiment ce que ce mot voulait dire. Dans le courage qu’elles m’assignaient, je n’avais rien  décidé du tout, j’étais handicapée, j’étais là, j’allais au collège, un point c’est tout. Dans le courage que moi je vivais, il y a eu une décision, un choix ; et, quelque part, je préférais mon courage au leur, car, au moins, j’en étais actrice.

Plus tard, je me suis demandé si, à cette époque-là, j’avais vraiment fait preuve de courage, si j’avais vraiment le choix de ne plus me penser comme hétéro, ou si ce n’était pas devenu une nécessité – sinon, j’aurais psychologiquement crevé  –. Peut-on parler de courage quand il y a nécessité ?  A l’inverse, a-t-on vraiment le choix, lorsqu’on ne sort pas du placard ? Je me suis toujours refusé à y voir un quelconque manque de courage. Je n’ai toujours pas les réponses à ces questions, mais au moins, je sais dire pourquoi le courage validiste me soûle grave.

La mort de Lennie

Chère N. d’il y a vingt ans,

Je t’écris ce soir pour te dire que Lennie est enfin mort. Il ne nous hantera plus. Il nous laissera enfin aimer en paix. Il est parti doucement, sans bruit, comme ça, après quelques heures de lutte.

Lennie t’a collé à la peau pendant si longtemps, mais ce n’est pas ta faute, ça n’a jamais été ta faute, t’as été induite en erreur, tu ne pouvais que l’être. Et moi, j’ai hérité de lui, ce fantôme, cette silhouette dans l’ombre, il m’a collé à la peau, moi aussi, parce que je ne m’étais pas aperçu que, depuis longtemps, j’avais les moyens d’abandonner cette narration et j’avais peur, je crois. Il y avait toujours une part de moi qui se demandait : qu’est-ce que je suis, si je ne suis pas Lennie ?

Je t’écris ce soir pour te rendre justice, car je t’ai injustement détestée pendant longtemps. Je t’en voulais d’être tombée amoureuse, de façon si pleine, si entière, si irrationnelle. En somme, d’avoir été amoureuse comme une ado pouvait l’être. Pendant longtemps, j’en ai eu honte, parce que tu en avais toi-même honte. Tu ne voulais pas ressembler à l’image condescendante et moquée du « petit trisomique attachant qui veut faire des câlins à tout le monde », mais tu aimais. Tu avais l’impression que, si tu le disais, ton amour ferait peur, ferait mal, étoufferait, serait dangereux pour celle que tu aimais. Être amoureuse t’a longtemps terrorisée. Mais tu aimais. Et puis, tu as rencontré Lennie, au détour d’un livre de Steinbeck, ce simplet avec des difficultés d’élocution, tu l’as vu tuer les souris qu’il caressait et brisait la nuque de la femme qu’il aimait, tu t’es reconnue en lui, tu t’es sentie soulagée de ne plus être seule, mais tu étais aussi horrifiée car Lennie te confirmait que ton amour était dangereux pour l’autre. Et toi, tu ne voulais pas ça, tu voulais traiter tes amoureuses comme des reines, tu ne voulais pas faire ton gros relou de mec cis – il en allait de ton honneur de lesbienne, puis de gouine –. Tu ne voulais pas être Lennie. Mais tu ne savais pas comment faire, parce que t’avais 13 ans, et tu ne savais pas comment être lesbienne sans utiliser des mots d’homme pour décrire ton amour, ou sans être Josiane Balasko, ou une vampire, ou sans provoquer un bain de sang à la fin du film.

Et puis, plus tard, tu rencontreras d’autres personnes, et tu en feras ta communauté. Tu verras, iels sont cools. Peu à peu, iels m’ont fait comprendre que l’amour était beau, était joie ; et tu comprendras bientôt que ton amour à toi fait du bien. C’était tout un travail collectif, entre ami-e-s indéboulonnables, entre amant-e-s et amours de passage. Peu à peu, j’ai parlé de Lennie, de ce qu’il t’avait fait, de ce qu’il me faisait, et je n’ai plus été seule à le porter. Bientôt, il n’a plus été qu’une ombre diffuse.

Mais l’ombre ressurgissait parfois. Jusqu’à ce soir. Il est parti, je crois, définitivement. Ça a été un décrochage, comme se défaire d’un réflexe de pensée auquel on tient malgré soi parce que c’est la seule définition que l’on connaît. J’ai accepté de laisser partir cette narration. J’ai compris que Lennie ne m’allait plus du tout, et que je pouvais me fier à la tendresse des autres pour écrire ma propre histoire.

Lennie est mort, donc. Rassure-toi, petite ado, t’avais le droit d’aimer. Et t’as vraiment assuré, quoi qu’on ait pu te dire, quoi que Steinbeck ait pu écrire, quoi que Josiane Balasko ou Kate Winslett aient pu jouer.

Les monstres en héritage

Conférence donnée dans le cadre d’un atelier transversal pendant les journées professionnelles de DCA (l’association nationale pour le Développement des Centres d’Art), le 28 novembre, au Carreau du Temple (Paris).

Voici la lecture audio de la conférence :

Pendant quarante-cinq minutes, je vais parler du validisme et de son rapport à l’art contemporain. Mais qu’est-ce que le validisme ? Je pourrais vous dire que c’est une oppression systémique qui repose sur la hiérarchie symbolique entre les corps valides et les corps handicapés, les existences valides et les existences handicapées. Mais que saisiriez-vous de ces mots ? Sûrement une image abstraite. Peut-être ressentirez-vous un vague sentiment d’indignation ? Mais c’est tout. Vous n’aurez probablement pas accès au millième de ce qu’implique cette oppression. Alors, je choisis une autre façon pour vous expliquer ce qu’est le validisme.  

            Fin octobre, je roulais tranquillement dans un parc, quand j’entends soudain la voix paniquée d’un garçon de huit ans crier derrière moi : « Papa ! Papa ! J’ai peur ! ». Une seconde plus tard, je le vois débouler à toute vitesse à côté de moi en me jetant des regards terrorisés. Je le dépasse en filant. Puis, je me dis : « mais… c’est moi qui lui ai fait peur ? » et l’idée me met tellement mal à l’aise que je rebrousse chemin pour vérifier, en espérant que je me sois trompée. Je recroise le gosse et son père dans l’allée. Et l’enfant me regarde et me dit « NON ! NON ! N’AVANCE PAS ! » et détale à nouveau en hurlant loin, loin. Son père me regarde d’un air contrit, me dit bonjour, essaye de faire comme si de rien n’était ; et, dans son regard, je vois cette condescendance muette que je connais bien pour l’expérimenter au quotidien, ce présupposé selon lequel je serai aussi atteinte d’une déficience intellectuelle, et que ça va, tant que ça se rend pas compte, ça passe… Mais je le regarde intensément pour lui faire comprendre que je sais ce qui est en train d’arriver. En cet instant, tout en moi est mortifié.

            C’est ça, le validisme. Plus que des mots abstraits, c’est cet enfant – déjà grand – qui hurle de terreur devant moi et me supplie de ne pas approcher de lui. C’est ce père qui ne dit rien et fait comme si. C’est moi aussi qui, pendant toute une semaine, ai dû composer avec cette vieille sensation d’être une abomination, bien rangée la plupart du temps, mais qui ressurgit quand la violence tape trop fort. Le validisme, c’est cette violence-là. Cette violence qui ne laisse pas de plaies, ni d’ecchymoses, mais broie un peu plus chaque fois l’estime de soi et fait voir un reflet déformé et monstrueux dans le miroir. Cette violence insidieuse car invisible. Cette violence qui demeure la plupart du temps impunie. Car, dans le validisme – tout au moins, le validisme ordinaire –, il n’y a, la plupart du temps, aucun coupable, ni aucune mauvaise intention. L’enfant n’est pas responsable d’avoir eu peur, et encore moins coupable. C’était une terreur non feinte. Mais c’est cela même qui rend, pour moi, la situation aussi cruelle et implacable ; car, derrière la peur de l’enfant, j’entrevois toute la complexité de structures sociales qui distinguent et esseulent, hiérarchisent et ostracisent. Derrière les hurlements de l’enfant, j’entends la voix du validisme qui me dit que c’est normal qu’un être humain hurle sa terreur devant un autre être humain et que, peut-être, je n’aurais pas dû me trouver là.

Oui, car le validisme, ce sont aussi ces questions : qu’a-t-on inculqué à cet enfant pour qu’il réagisse ainsi ? Qu’a-t-on inculqué au père pour qu’il ne réagisse pas ? Que m’a-t-on inculquée, à moi, pour que, pendant toute la semaine qui a suivi, mon corps me soit à ce point insupportable ?

A cet enfant, à ce père, on a montré des images, qui ont forgé, en leur subjectivité, une certaine idée du handicap. A moi, on a dit des mots, qui ont fixé en mon esprit des sensations et des pensées. On m’a montré des personnages de fiction et on m’a suggéré que j’étais comme eux, que j’étais eux. Mais vous allez sûrement me demander qui est ce « on ». Je ne sais pas. Il n’a pas de corps, ni de matière, mais il se reflète partout, à travers des répliques de film ou des lois que l’on vote au Parlement, dans des critères de sélection ou les courbes d’un visage représenté sur une toile, dans une mise en scène théâtrale ou des interactions étranges, à travers le destin tragique des personnages de fiction ou la terreur d’un enfant. Or, qu’y a-t-il au fondement des représentations, des pratiques et interactions sociales, des productions culturelles ou des émotions ? L’imaginaire. 

Aujourd’hui, je vais donc vous parler du validisme par le biais de l’imaginaire, car il faut bien choisir un angle d’approche pour brosser, en quarante-cinq minutes, un portrait efficace de cette oppression. Et puis, parler de l’imaginaire, de la production des imaginaires dominants, de leurs effets sur les corps, et de leurs transformations, c’est à peu près tout ce que je sais faire. En effet, comme cela a été dit, je suis à la fois artiste et chercheuse. Mes recherches portent sur le façonnement des perceptions sociales des corps et les moyens dont disposent les activistes, les artivistes et les artistes pour transformer les visions dominantes. Ma thèse portait plus spécifiquement sur les corps assignés féminins et les corps queer, et donc sur les imaginaires androcentré et cis-hétérocentré. Maintenant, dans le sillage des travaux anglosaxons et aux côtés d’autres personnalités qui se revendiquent handicapées, je souhaite élargir cette réflexion à la problématique du validisme, et dans mon travail de recherche et dans mon travail d’artiste,. Mais je me heurte – et nous nous heurtons – à un silence assourdissant, ou à des manières de parler de moi, de nous, dans lesquelles je ne reconnais pas mon corps et nos expériences. La recherche, l’art, parlent peu de handicap – et encore moins de validisme –, et quand ils en parlent, ne savent en parler que d’une seule manière, en en effaçant beaucoup d’autres. Mais je reviendrai sur cette idée plus tard.   

Pour le moment, il me faut expliciter devant vous certains présupposés qu’impliquen  un propos sur les effets de l’imaginaire validiste sur les corps, qu’ils soient valides ou handicapés. Le premier concerne la notion même d’imaginaire. Si je me souviens bien de mes cours de Terminale en philosophie de l’art, Oscar Wilde se dressait contre l’idée selon laquelle l’imaginaire découlerait de la réalité, ne constituant qu’un reflet mental du réel. Pour lui, l’art et l’imaginaire crée la réalité. C’est en quelque sorte le même renversement que Cornélius Castoriadis opère, en considérant la relation récursive entre imaginaire et réalité : l’imaginaire produit la réalité sociale qui, en retour, produit l’imaginaire. Ainsi, l’imaginaire fonde les pratiques sociales, les pratiques corporelles et les interactions entre les individus. De même que Judith Butler parle de « parodies sans original » pour désigner le genre et mettre en exergue sa structure imitative et l’absence de modèles matériels et concrets, de même que Paul B. Preciado évoque, à la suite de Monique Wittig, des fictions politiques pour qualifier la féminité et la masculinité comme essences et mettre l’accent sur leur caractère imaginaire et leur construction sociale, politique et culturelle, je postulerai qu’il y a un imaginaire qui façonne les pratiques sociales des corps valides et handicapés, des fictions politiques du corps valide et du corps handicapé qui structurent les perceptions sociales autour de ces corps. Ces fictions, je les appelle parfois : scripts corporels. Donc, scripts corporels de la validité et scripts corporels du handicap.

 Le second présupposé découle du premier. Si je considère le corps valide et le corps handicapé, comme les produits de fictions socialement et culturellement construites, alors je m’inscris dans la conception du handicap propre au modèle social. En sciences sociales, deux conceptions du corps handicapé s’opposent : le modèle médical et le modèle social. Pour expliquer en quoi consistent ces deux grilles de lecture, j’ai l’habitude de raconter une anecdote :  un jour, quand j’étais enfant, un médecin m’a demandé d’attraper un minuscule cube entre mon pouce et mon index. Je me souviens avoir pensé : « mais ça sert à rien. Je me sers jamais de ma main ». Et en effet, comme j’avais développé d’autres manières, notamment avec mes pieds, de saisir des objets, je me fichais éperdument de pouvoir prendre ce tout petit cube entre le pouce et l’index. Le modèle médical, incarné ici par le regard du médecin sur mon corps, ne voit dans le handicap qu’une déficience, qu’un problème individuel et médical, que des corps tronqués et à réparer. Mais tronqué par rapport à quoi ? Déficient par rapport à quoi ? Tronqué par rapport à l’idée qu’on se fait de ce que doit être un corps. Déficient par rapport à une certaine référence implicite. Le médecin ne prenait pas mon corps pour lui-même, avec ses potentialités et ses contraintes ; mais il l’évaluait par rapport à une certaine idée du corps valide. Ainsi, mon corps n’était pas incapable en soi, mais il a été rendu incapable par la situation dans laquelle il a été placé, c’est-à-dire assise sur une chaise, derrière un bureau, les jambes coincées sous la table. Dans une posture de corps valide – et qui plus est, une posture socialement admise, une posture de « bonne élève » – j’ai été mise en échec, là où, assise par terre, les jambes libres et pouvant user de mes propres stratégies corporelles, j’aurais réussi l’exercice. J’ai découvert a posteriori que ma réaction d’enfant pouvait s’apparenter aux conceptions du modèle social, qui se centre sur les corps handicapés eux-mêmes, et non sur le corps handicapé considéré comme lacunaire par rapport à la référence implicite du corps valide. Dans le sillage des disability studies apparues, sous l’impulsion des mouvements militants handicapés pour leurs droits civiques, dans les universités anglosaxonnes, le modèle social insiste donc sur la conception des handicaps comme désavantages sociaux et sur l’idée de situation de handicap. Ces nouvelles conceptions ont pour mérite de démédicaliser l’approche du corps handicapé : le handicap n’est plus un problème individuel, un corps à soigner, puisque ce sont les logiques sociales, la spatialité, les perceptions sociales, l’imaginaire dominant qui le produisent. Mais ce modèle a aussi ses limites. Si on considère le handicap uniquement en termes de situations, si on réduit le handicap à une série de situations, on nie la construction identitaire, et l’expérience intime et corporelle, de tout individu qui a à composer avec les logiques validistes. C’est le reproche qu’adressent les théoriciens et théoriciennes crip au modèle social dans les années 1990-2000. Pour illustrer cette idée, je prends toujours comme exemple mon expérience du premier confinement, où je ne suis pas sortie de chez moi pendant quatre-vingts jours, et où je n’ai donc pas été confrontée aux marches à l’entrée des magasins, aux trottoirs sans bateaux, aux trottinettes garées en plein milieu, aux mille empêchements quotidiens du monde extérieur. Pendant quatre-vingts jours, je n’ai plus été en situation de handicap, et pourtant je me considérais toujours comme une personne handicapée, avec ma construction personnelle, avec mon expérience du validisme et, comme le dit aussi Alison Kafer dans Feminist Queer Crip, avec mon corps et ses douleurs. Voilà donc le socle théorique sur lequel se fonde mon propos. C’était le second présupposé que je voulais expliciter devant vous.

Une fois détaillées mes conceptions de l’imaginaire et du handicap, je souhaiterais revenir sur ma petite histoire du début : l’enfant qui a peur, le père qui ne réagit pas, et mes sensations de monstruosité qui reviennent au grand galop. Je vais analyser cette petite histoire, à la lumière de ce que je viens de dire sur l’imaginaire dominant qui fonde les pratiques et interactions sociales. Pour cela, je vous parlerai un instant du travail que j’ai fait à propos de la figure de Quasimodo. Ce travail a donné lieu à une pièce chorégraphique. Voici un extrait de la présentation :

« En 1996, sortait le long-métrage Disney, Le bossu de Notre Dame. En 1998, était donnée la première de la comédie musicale, Notre Dame de Paris. Je suis une enfant des années 1990 ; j’ai regardé ce dessin animé et écouté assidûment la comédie musicale. Pendant toute mon enfance, j’ai donc côtoyé le personnage de Quasimodo, rare  représentation du corps handicapé disponible et je me suis peu à peu construite avec cette narration.

J’ai toujours eu une relation ambivalente à Quasimodo : je m’identifiais malgré moi à lui, je craignais d’être lui, je  ne voulais pas être lui. Ce personnage et ce qu’on disait de lui me hantait »

Or, que dit-on de lui ? et que dit Quasimodo de lui-même ? Pour vous, j’ai fait ce montage qui liste de façon non exhaustive ce que disent la comédie musicale et le film d’animation Disney à propos de ce personnage.

Laid. Effrayant. Difforme. Monstrueux. Incapable de susciter l’amour et le désir. Et donc, violeur. Condamné à la solitude et à la mort. Quantité négligeable pour la société.

Ça donne très envie, n’est-ce pas ? Autant à vous. Autant à moi. Autant à l’enfant de huit ans qui a eu peur. Autant au père qui, supposons-le, a été exposé, depuis sa propre enfance, aux mêmes représentations du handicap. Il aura donc été habitué à porter un certain regard sur les personnes handicapées, à les considérer, si ce n’est comme des monstres, du moins comme des éléments non humains. Il aura donc trouvé légitime la peur de son fils, légitime de ne pas s’excuser devant moi, m’ostracisant ainsi de ce qui lui paraissait semblable à lui, et trouvant légitime cette différenciation et cette ostracisation.

A vrai dire, ce que je dis là ne sont que des hypothèses. Je ne peux que spéculer sur les raisons de la réaction de ce père et de son fils, car je ne suis pas à leur place, dans leur position de valide. Et ce n’est peut-être pas à moi d’interroger de cette manière, cette position. C’est sûrement aux personnes valides de le faire elles-mêmes. Moi, je ne peux que leur tendre un miroir, mais je ne peux examiner leur reflet que depuis ma place de personne handicapée.

En revanche, je saurais mieux vous parler de moi et de la façon dont je me reflète dans ce même miroir. Peut-être, maintenant, comprenez-vous mieux ces sensations de difformité et de monstruosité qui m’ont habitée pendant toute une semaine. Depuis l’enfance, mon corps a été exposé à des narrations que l’on a voulu lui imposer, ce qui a créé une forte impression de hiatus, entre ce que l’on disait de moi, ce que l’on attendait de moi, ce que moi je voulais être, et ce que moi j’étais. Être un monstre, me sentir intrinsèquement un monstre, a eu de nombreuses conséquences, notamment dans mon rapport au désir. Tout à l’heure, vous avez entendu  Frollo scander les mots : «  Bossu ! Boiteux ! Borgne ! Violeur !”. Souvent, le désir sexuel d’une personne handicapée, lorsqu’il est représenté, est diabolisé et assimilé au viol, et cet imaginaire-là a rendu mon rapport au désir très complexe. Pendant longtemps, j’ai eu l’impression que le simple fait de désirer quelqu’un, le/la violentait ; que mon désir n’allait pas de soi, que c’était quelque chose de dangereux. Ce sentiment de culpabilité, dû au validisme, était renforcé par mon assignation femme – en tant que fille/femme, la passivité est de mise dans l’édiction du désir – et mon désir lesbien – qui, comme chez la plupart des adolescentes lesbiennes des années 2000, était invisibilisé. Ici, on voit comment le validisme a pu déformer ma perception de la réalité. A l’inverse, par la désexualisation qu’il opère sur les corps handicapés, le validisme peut renforcer les conditions d’impunité pour un homme handicapé qui commet viols et agressions sexuelles, et donc renforcer la charge qui pèse sur les victimes, car cette réalité de l’homme handicapé violeur demeure impensée et impensable.

Cette ambivalence dans la monstration (ou non) d’une sexualité handicapée – et dans la figure même de Quasimodo – revient à poser la question suivante : à l’instar du débat sur les représentations des personnages gays, lesbiens et/ou trans dans le cinéma (je pense ici au livre et au film Celluloid Closet), on peut se demander s’il ne vaut pas mieux montrer d’une mauvaise façon, que de ne pas montrer du tout. Certains diront que, même si ce n’est pas une représentation positive, la représentation existe tout de même. Personnellement, je pense qu’une mé-représentation équivaut à une non-représentation, en ce que la multitude des réalités et des expériences handicapées est, dans l’un comme dans l’autre cas, invisibilisée.

Les productions culturelles, dans lesquelles est présente la figure de Quasimodo, ont été créées par des auteurs valides, qui portaient un regard de personne valide sur les corps handicapés et ont donc créé ce personnage selon des schèmes validocentrés. De ce fait, on se rend compte que les instruments de production et de diffusion des représentations du monde (pour employer un langage marxiste et bourdieusien), comme les films, les chansons, la littérature, ou même les mots de tous les jours, ne sont pas neutres : ils sont empreints d’une vision du réel conforme au regard des dominants et des dominantes, vision qui va essaimer dans l’espace social et fonder ainsi les façons de dire et de représenter le monde, de se représenter dans le monde, les représentations qu’a un groupe dominé de lui-même, en l’occurrence les personnes handicapées. Ainsi, cette seule vision du corps et de l’existence handicapés exclut peu à peu la possibilité pour d’autres représentations du monde de se diffuser. Il devient alors naturel de penser au corps handicapé comme un objet à prendre en charge médicalement et à réparer ; il est alors naturel de penser aux existences handicapées, comme le dit le sociologue britannique Mike Oliver, en termes de tragique et de vies condamnées, puisque ce sont les seules représentations disponibles, et donc crédibles. Le regard se verrouille progressivement autour de ces fictions, ces trompe-l’œil qui occultent alors les mille réalités des corps et des existences handicapées.  

Sûrement comprenez-vous mieux désormais pourquoi je disais tout à l’heure que l’art et la recherche, en France, ne savent parler du handicap que d’une seule manière, une manière qui s’inscrit dans un imaginaire médical, individualisant, exceptionnalisant. Et en soi, ce qui est le plus problématique, ce n’est pas que cette conception du handicap existe, même si, personnellement, je n’y adhère pas du tout, car elle dépolitise la question du handicap, elle la déconnecte de toute idée de conflictualité sociale, effaçant ainsi la problématique du validisme. Mais bon. Soit. Cette vision existe, et si des personnes s’approprient ainsi leur handicap et y trouvent une source d’apaisement, alors tant mieux. C’est une telle gageure de se construire en contexte validiste que ce n’est pas à moi de juger de leur façon de s’expérimenter en tant que personne handicapée. En revanche, ce qui est problématique, c’est l’omniprésence de cette vision médicale. Mais pourquoi est-ce si problématique, me demanderez-vous ? C’est problématique, car, selon moi, le verrouillage du regard des chercheur-euse-s et des artistes autour du modèle médical, invisibilise tout d’abord les diverses réalités du handicap. Et ensuite, parce que ça paralyse toute heuristique et toute création. Je m’en suis rendu compte quand j’ai tenté de faire une synthèse de la recherche française sur les artistes handicapé-e-s. L’écrasante majorité des articles en sciences sociales, qui travaillent les liens entre art et handicap, les abordent sous l’angle de la réinsertion sociale ou de la reconstruction psychologique : les personnes handicapées y apparaissent avant tout, non comme des artistes, mais comme des usagers et usagères d’un service médico-social, qui trouvent un certain soutien psychologique dans l’art pour surmonter l’expérience d’un corps vécu comme un obstacle : la pratique artistique est ici envisagée comme un facteur d’intégration sociale pour une population vulnérable et isolée. Ce prisme surplombant, qui se retrouve aussi dans des travaux sur l’art brut ou l’art des fous, empêche de considérer les artistes handicapé-e-s, comme des actrices et acteurs à part entière du champ artistique et de développer d’autres approches. On pourrait, par exemple,  interroger les processus sociaux à l’œuvre dans la production esthétique des artistes qui portent une parole antivalidiste ; ou construire un cadre théorique qui considère les expériences handicapées, non pas comme un obstacle à la création, mais comme un médium créatif ; ou bien encore, penser les schèmes esthétiques et culturels d’un art conçu à partir de l’expérience d’un corps valide, à l’instar de l’art féministe et queer, qui a permis de mettre en exergue les schèmes androcentrés et cis-hétérocentrés d’un art légitimé. Le verrouillage du regard ferme aussi le champ des possibles intellectuels et artistiques.

Cependant, qui dit verrouillage du regard, dit aussi possibilités de déverrouillage ; si on œuvre, notamment dans le champ artistique, à instaurer les conditions nécessaires à la production et la diffusion d’autres narrations du corps et de l’existence handicapés. Mais selon moi, tout ne dépend pas que de ces narrations-là. Il y a un an, j’ai donné une conférence sur l’invisibilisation des artistes handicapé-e-s (dont certain-e-s d’entre vous ont peut-être déjà lu le texte sur mon blog). J’y évoquais, entre autres, la difficulté que j’éprouvais à me dire moi-même artiste, le profond sentiment d’illégitimité à me définir ainsi. Car, pour résumer cette difficulté en une phrase, le corps de l’artiste n’est pas le mien ; et si, donc, le corps de l’artiste n’est pas le mien, mon corps ne saurait produire quelque chose digne d’intérêt artistique, c’est-à-dire qui ouvre sur l’universel. C’est la narration de la figure de l’artiste, en tant qu’homme blanc hétérosexuel et valide, qui a suscité, pendant longtemps en moi, ce sentiment d’illégitimité à me penser comme potentielle artiste – ou maintenant comme artiste à part entière –. C’est pour cela qu’à mon sens, il ne suffit pas de travailler à créer de nouvelles narrations du corps et de l’existence handicapée, mais il faut aussi penser autrement la figure de l’artiste et les narrations de son corps.

Maintenant, j’aimerais vous raconter plus précisément la délégitimation et la relégitimation artistiques, d’une des modalités de mon corps. En 2014, ma première performance publique a eu lieu. J’y interprétais une semi-improvisation de danse au sol. A l’époque, je ne voulais pas apparaître dans mes performances en fauteuil roulant électrique. Pourtant, au quotidien, c’est une machine qui prolonge mon corps. Mais il me paraissait important de mettre en scène la gestuelle de mon corps handicapé, sans fauteuil, car le corps handicapé, dans l’imaginaire validiste, apparaît comme indissociable du fauteuil roulant. A celles et ceux qui croyaient impossible de m’inviter dans leur immeuble sans ascenseur, que de fois ai-je répondu : « mais tu sais, je ne suis pas vissée sur mon fauteuil ». Dissocier mon corps du fauteuil roulant créait donc une autre façon d’imaginer les corps handicapés. Mais j’ai récemment pris conscience des ressorts, jusqu’alors quasiment inconscients, qui me poussaient aussi vers ce choix scénique. Je n’arrivais pas encore à penser que ma gestuelle en fauteuil roulant électrique puisse avoir une quelconque valeur artistique. Certes, beaucoup d’artistes handicapé-e-s se montrent, dans leurs danses ou leurs acrobaties, en fauteuil roulant manuel ; mais il n’en va pas de même pour le fauteuil roulant électrique, souvent cantonné à une image péjorative. C’est cette image qui a pendant longtemps façonné ma propre perception de mon corps en fauteuil roulant électrique, parfois renforcée par l’attitude de certaines personnes qui estimaient, par exemple, que s’asseoir dans un fauteuil roulant portait malheur. Pendant longtemps, ma gestuelle en fauteuil roulant électrique m’a donc parue saccadée, disgracieuse, inexploitable d’un point de vue scénique. Mais récemment, du fait de mon travail avec le chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing et la compagnie Shonen, j’ai révisé cette perception. Nous avons travaillé ensemble à construire un spectacle, joué au théâtre du Châtelet, où collaborent danseur-euse-s professionnel-le-s, enfants handicapé-e-s et robots de téléprésence. Mon rôle dans cette création consistait à piloter un de ces robots, et notamment de le faire danser pendant deux duos avec des danseuses. Pour ce travail, j’ai transposé mon expérience de conduite en fauteuil roulant électrique au pilotage du robot, explorant ainsi les diverses qualités de mouvements que permet la machine. En retour, le travail avec le robot a renouvelé la perception que j’avais d’une gestuelle de machine, et donc de ma propre gestuelle quand elle est soutenue par le fauteuil roulant électrique : elle m’apparaît aujourd’hui plus légitime à montrer sur scène.

Toutefois, à ce frein psychologique, s’ajoute un biais bien plus concret : les marches d’escaliers ! En somme, la suite de mon propos va consister, si vous me le permettez, à dire en quoi les marches d’escaliers sont à l’origine de la délégitimation artistique des corps handicapés, de leur invisibilisation, et enfin, de leur relégation au registre de l’obscène. Vous l’aurez bien évidemment compris, c’est un raccourci teinté d’humour, mais qui n’est pas complètement faux. Ce que je veux dire, c’est que l’organisation spatiale, associée à d’autres biais, contribue à forger et à renforcer un certain imaginaire sur les corps handicapés. En effet, s’il y a des marches pour monter sur scène, je ne peux pas me montrer en fauteuil roulant électrique. S’il y a un escalier dans des lieux de résidence artistique, je ne peux pas envisager de créer une chorégraphie en fauteuil roulant électrique. De plus, combien de fois ai-je renoncé à me déplacer loin de chez moi pour me produire dans des festivals, en pensant à la charge mentale que ces voyages impliquait : trouver un AirBnB qui soit véritablement accessible, vérifier l’accessibilité des transports en commun de la ville, ou trouver une compagnie de taxis qui possède des véhicules adaptés aux fauteuils roulants non pliables, sans parler des compagnies d’avion qui, parfois, font d’énormes difficultés pour le transport d’un fauteuil roulant électrique. Donc, lorsque c’est moi qui dois porter cette gigantesque charge mentale – en plus du travail de création lui-même –, je renonce le plus souvent. Encore une représentation scénique en moins pour mon fauteuil roulant électrique, qui sera encore plus effacé du champ du visible. On voit ainsi comment l’empêchement spatial participe de l’invisibilisation du corps handicapé en général, et du corps handicapé en tant qu’artiste, en particulier.

Mais à ce biais spatial, très concret, s’ajoutent d’autres biais. Des biais imaginaires, tout d’abord : comme je me suis beaucoup attardée sur cette notion, je me contenterai de vous raconter une anecdote, recueillie pendant une des réunions du cycle d’échanges « Handicap et Danse », organisées par l’Office National pour la Diffusion des Arts et le British Council : un participant raconte que l’organisateur d’un atelier de danse, interrogé sur les modalités d’accueil des publics handicapés à l’événement, aurait répondu : « à quoi ça sert ? Il n’y en aura pas. Il n’y en a pas qui dansent ». Ce témoignage est très révélateur, en ce qu’il  montre comment un certain imaginaire du corps handicapé conditionne la non-accessibilité des ateliers de danse, ce qui empêche effectivement la venue d’éventuels participants et participantes handicapées, renforçant ainsi l’imaginaire initial.

Et ensuite, découlant de l’imaginaire, il y a aussi des biais institutionnels : je pense notamment au paradigme de l’inclusion sociale – propre aux politiques culturelles actuelles qui entendent lutter contre l’exclusion et l’invisibilisation des artistes, issus de minorités – ; mais tel qu’il est pensé actuellement, ce paradigme a des effets pervers. Il structure les discours issus des programmations des spectacles vivants, et en particulier ceux qui mettent en scène des danseuses et danseurs assignés handicapés. Ce paradigme de l’inclusion sociale essentialise ces artistes, les faisant apparaître aux yeux des programmatrices et programmateurs et des publics, avant tout comme des personnes porteuses de handicap. Ainsi, les spectateurs et spectatrices seront donc plus dans l’optique d’aller voir des handicapés qui dansent, que d’assister à une pièce chorégraphique, pensée par de véritables artistes, qui élaborent et portent un discours sur leur expérience corporelle. Donc, cette manière essentialisante de penser l’inclusion prive les créatrices et créateurs handicapés de leur statut d’artiste. Et de plus, pour parler de manière très cynique, un spectacle avec des handicapés qui dansent, c’est pas vendeur, pour des raisons que je développerai tout de suite après. Et donc, les lieux culturels seront peut-être plus réticents à programmer des créatrices et créateurs handicapés, ce qui renforce leur délégitimation artistique.

            Mais pourquoi, donc, des handicapés qui dansent, ce ne serait pas vendeur ? Je développerai rapidement ce dernier point, car il s’agit là d’une de mes recherches actuelles, et vous l’exposer en détails nécessiterait de remonter jusqu’au XIXème siècle, et vous parler de colonialisme et de tératologie, mais aussi de baraques de foire, de géants, de lilliputiens et de vénus anatomiques, et mon exposé dure depuis bien trop longtemps.

 Mais en somme, dans de récents travaux, je formule l’hypothèse que l’invisibilisation actuelle des artistes handicapés s’enracine en partie dans la surexposition, des corps handicapés, durant le contexte particulier du XIXème siècle dans les freak shows aux Etats-Unis, ou l’exhibition de « phénomènes », en France. Cela peut sembler paradoxal de lier l’idée d’invisibilisation, à celle de sur-monstration. Pourtant, à mon sens, lorsqu’un corps handicapé est aujourd’hui montré sur scène, sa monstration est conditionnée par tout un imaginaire, que j’identifie comme un héritage des freak shows ou des expositions de monstres. Lorsque j’élabore une performance, je le ressens beaucoup, car je dois composer la mise en scène de mon corps, en contrecarrant deux injonctions : je dois, en premier lieu, affirmer que mon corps est digne d’être montré artistiquement, m’opposant ainsi à l’idée que mon corps ne peut être montré autrement que comme un objet de curiosité, à l’instar des acteur-trice-s exhibé-e-s dans les freak shows. Les journaux de l’époque les décrivent davantagecomme des « phénomènes » que comme des artistes, les caractérisant presque toujours plus par leurs particularités physiques que par leur capacité à effectuer de parfaites acrobaties, par exemple, alors que des articles élogieux foisonnent à propos des talents du clown Auriol (qui était un artiste acrobate, encensé entre autres par Théophile Gautier).

En second lieu, face à l’imaginaire des freak shows, je dois affirmer que c’est bien moi qui ai choisi de montrer mon corps, que je suis active dans cette monstration, actrice principale de cette mise en scène, car, en arrière-plan, il y a souvent l’idée tenace (et peut-être aussi, plus diffuse) que si mon corps handicapé est montré, c’est seulement parce qu’il subit sa monstration, manipulé par des personnes peu scrupuleuses. Or, dans mes recherches, je retrouve cet argument moral, qui revient beaucoup, à partir des années 1920, et a contribué à la disparition progressive de ces spectacles forains, puis de music-hall… mais, ne nous voilons pas la face, si ces spectacles ont disparu, c’est plutôt parce qu’ils étaient devenus moins rentables que du fait d’un quelconque sursaut moral.

Toujours est-il que, dans l’imaginaire des freak shows, le corps handicapé est vu comme forcément exploité, victime passive de son exhibition jugée immorale. Il ne peut en aucun cas être acteur de sa monstration. On peut penser qu’en filigrane de cet imaginaire, émerge un certain inconfort du regard face à la monstration scénique ou filmique des corps handicapés. Dans mes recherches, j’avance l’idée que la monstration des corps handicapés est inconsciemment reléguée au registre de l’obscène, au même titre que les monstrations sexuelles ou scatologiques, ou même l’évocation de la mort. Souvent pris dans cet inconfort moral, le regard des spectateur-trice-s hésite à assigner une valeur artistique à la catégorie de l’obscène. Ainsi, se dessine une relation récursive entre relégation à l’obscène, délégitimation artistique de certains corps et leur invisibilisation scénique.

En conclusion, je reviendrai à ma question de départ, pour y répondre, ou plutôt pour ne pas y répondre. Qu’est-ce que le validisme ? Ce n’est pas seulement un enfant qui hurle sa terreur devant moi. Ce n’est pas seulement un père qui ne réagit pas. Ce n’est pas seulement des sensations de monstruosité qui hantent des corps. Ce n’est pas seulement des marches d’escalier. Le validisme, c’est un imaginaire, mais pas que. C’est aussi des personnages de fiction qui forgent la perception des corps réels et esquissent des reflets dans un miroir. C’est aussi des paradigmes qui influent sur des politiques culturelles et des choix artistiques. Le validisme, c’est peut-être surtout un héritage, parfois trop lourd à porter individuellement ; mais, comme tout héritage, nous pouvons décider ce que l’on veut en faire collectivement      .

Je vous remercie de votre attention.

Les pliures

Nous sommes parties avec nos manques

Nous nous sommes tues

Encore des questions qui se planquent

Dans l’ombre de nos silences, le sais-tu ?

Toujours des froissements de tendresse

Au coin de notre cœur

Sur ce papier, comme un adieu qui presse,

Des pliures, des traces, qui demeurent.

Dans nos mutismes labyrinthiques

Nous avons posé

L’or de nos horizons chimériques

Qu’ensemble nous n’avons pas osés

Toujours des froncements de tendresse

Au coin de notre cœur

Sur ce papier, comme un adieu qui presse,

Des pliures, des traces, qui demeurent.

Nous ne reviendrons pas à la surface

D’un désir perdu

Dans nos creux à jamais suspendues

Peut-être serons-nous face à face ?

Toujours des frôlements de tendresse

Au coin de notre cœur

Sur ce papier, comme un adieu qui presse,

Des pliures, des traces, qui demeurent.

Nous sommes parties avec nos manques

Nous nous sommes tues

Encore des questions qui se planquent

Dans l’ombre de nos silences, le sais-tu ?

Toujours des froissements de tendresse

Au coin de notre cœur

Sur ce papier, comme un adieu qui presse,

Des pliures, des traces, qui demeurent.

Dans nos mutismes labyrinthiques

Nous avons posé

L’or de nos horizons chimériques

Qu’ensemble nous n’avons pas osés

Toujours des froncements de tendresse

Au coin de notre cœur

Sur ce papier, comme un adieu qui presse,

Des pliures, des traces, qui demeurent.

Nous ne reviendrons pas à la surface

D’un désir perdu

Dans nos creux à jamais suspendues

Peut-être serons-nous face à face ?

Toujours des frôlements de tendresse

Au coin de notre cœur

Sur ce papier, comme un adieu qui presse,

Des pliures, des traces, qui demeurent.

Réflexion politique sur la douleur chronique

Un artiste handicapé parle de sa maladie de compagnie. Cette expression m’a tellement plu que je la reprends à mon compte en parlant de mes douleurs de compagnie. Je trouve que ça dit parfaitement la réalité, ma réalité, et celle, je crois, d’autres personnes qui ont des douleurs chroniques.

Presque jamais en public, je ne parle de mes douleurs : j’en parle à mon cercle très proche. Il est difficile de parler de ses douleurs physiques (comme de ces douleurs psychiques). Parce que c’est une expérience intime ; et comment décrire la crise de douleurs qui m’est arrivé tout à l’heure ? Comprendrez-vous les prémices, la sensation de raideurs que l’on sent peu à peu arriver ? Comment dire ensuite le courant électrique qui se propage des muscles du front, de la mâchoires, du cou, des épaules et des bras, et les crampes qui entravent la respiration et la digestion ? Sur une échelle, de 1 à 10, où situez-vous vos douleurs, disent souvent les médecins ? A cette question, je réponds toujours au pif, toujours à tâtons, car je ne sais ce qu’est un 8 de douleurs, ni si mon 8 correspond au 8 du ou de la médecin qui m’interroge. Peut-être, après tout, la douleur est-elle une expérience incommunicable ?

Mais la douleur est une réalité – et comme toute réalité, elle est souvent gérable ; et parfois, ça nous dépasse –. Mais la douleur n’est pas une tragédie. En tout cas, pas pour moi. Pour certaines personnes douloureuses, oui bien sûr – et elles en ont bien le droit –. Mais c’est l’idée même que la douleur chronique est une tragédie inéluctable du corps qui m’empêche d’en parler davantage, car en parler confirmerait encore plus la croyance validiste que mon corps n’est que source de douleurs, que mon existence est lacunaire. C’est la triple peine : avoir mal, et ne pouvoir en parler sous peine de voir réduire mon corps à une projection qui le mésestime et de le tronquer mon corps d’une part importante de lui-même. Mon corps peut être plaisir, mouvement, joie.

La douleur est une réalité et j’ai développé un rapport à elle très pragmatique. Bon, il est vrai que parfois je suis accablée, que parfois je trouve ça injuste, que parfois j’aimerais qu’on me prenne dans les bras pour me dire : « tu vas y arriver, tu vas arriver à tout gérer ». C’est une réalité qui ne me submerge pas. Jamais je ne panique face à mes douleurs car elles me tenaient déjà compagnie pendant mes devoirs tard le soir, et mes contrôles de maths, et mes DM d’espagnol, et mes parties de Zelda, de Mario ou de Pokémon. Nous sommes de vieilles connaissances, un très vieux couple. En les apprivoisant, j’ai acquis une grande palette de stratégies., même si ça me rajoute de la charge mentale : ne pas prévoir trop de travail dans les périodes douloureuses, retenir l’heure de l’Efferalgan, surveiller la consommation de médicaments pour éviter toute accoutumance et dépendance. Mais si mes douleurs de compagnie m’ont certes toujours entravée, elles ne m’ont jamais empêchée.

*

Essayer de finir un budget avant demain. Avoir envie de se terrer dans un coin. Répondre à tous les mails pro que l’on peut. Avoir envie de se terrer dans un coin. Faire les plannings des auxis avant demain. Avoir envie de se terrer dans un coin. Faire toute sa to-do-list avant demain. Parce qu’on ne sait pas si demain on sera un peu démolie ou beaucoup démolie. Ne pas savoir quand on pourra être à nouveau active. Avoir peur. Avoir peur d’avoir mal. Savoir qu’on aura mal. Être soulagée à l’idée qu’on n’aura plus mal. Avoir envie de se terrer dans un coin. Être soulagée à l’idée qu’on n’a pas attrapé le Covid pour l’hôpital demain. Préparer le carnet de l’hôpital pour demain. Préparer sa carte vitale pour demain. Préparer la convocation de l’hôpital pour demain. Préparer ses cachets pour demain. Se tailler les ongles pour demain. Se peser pour demain. Penser aux repas pour demain. Penser que demain, il y a aussi le marché sur Jaurès et que le frigo est vide. Avoir envie de se terrer dans un coin. Savoir qu’après demain, on risque d’avoir à lutter contre cette vieille phobie des oppressions respiratoires. Savoir qu’après demain, on aura à gérer la diminution des cachets anti-douleur, et la désaccoutumance, et l’anxiété, et l’insomnie, qui vont avec. Avoir envie de se terrer dans un coin. Avoir peur. Avoir envie de pleurer. Avoir envie de hurler contre l’absurdité d’avoir mal et que ça recommence tous les trois mois. Mais ne plus avoir mal pendant trois mois.

Pourquoi eux, pourquoi pas moi ?

Jamais je ne me suis exprimée sur la question du Téléthon, parce que je n’ai jamais été directement concernée par ce problème (je ne suis pas atteinte d’une maladie génétique. Mon handicap est la trace indélébile que ma naissance a laissé sur mon corps) et je trouvais que les militant-e-s directement concerné-e-s lui faisaient suffisamment sa fête (et j’avoue, je trouve ça très drôle – et reposant –  de regarder ça de loin). Mais maintenant, je me permets de sortir de ma réserve, parce qu’en lisant ce soir des trucs sur le Téléthon, je viens de penser à la petite fille qui regardait, en 1996-97, cette émission. Elle était contente de voir des enfants qui lui ressemblaient (un peu) et devant lesquels Sophie Davant faisait des gouyou-gouyou. Et la petite fille se demandait aussi « pourquoi eux ? et pourquoi pas moi ? ». La petite fille était un peu jalouse quand elle voyait ses chanteurs préférés (oui, la petite fille avait des goûts musicaux un peu spéciaux à l’époque) parler aux enfants dans la télé, et pas à elle ? En plus, ces enfants conduisaient des voitures avec des joysticks, comme à Mario Kart, et ça avait l’air trop bien. Et en plus, il y avait certains copains-copines du kiné qui allaient le soir, Place de la Comédie à Montpellîer, et iels allaient voir la grande scène, les illuminations de Noël, le sapin de Noël, et iels allaient manger des bonbons et plein de barbapapas. Et un jour, la petite fille a demandé à sa maman : « pourquoi ils font pas tout ce tralala pour des recherches pour calmer mes douleurs à moi, au lieu de ne vouloir me donner que de l’Artane ? » (l’Artane est un médicament qui donnait tout le temps envie de dormir à la petite fille et l’empêchait de suivre à l’école. Ça lui a appris que, soit elle avait mal mais pouvait aller à l’école, soit elle n’avait pas mal mais dormait à l’école…). Et la petite fille s’est alors peu à peu dit, à huit-neuf ans, que son handicap à elle n’intéressait personne, qu’il était la cinquième roue du carrosse et qu’elle était une handicapée irrécupérable.

Voilà ce que le Téléthon a soufflé à l’oreille de la petite fille. Dans le sillage du validisme, le Téléthon instaure une hiérarchie entre valides et handicapé-e-s bien sûr, mais aussi entre les personnes handicapées elles-mêmes. Une hiérarchie, une distinction, qui transparaît, entre autres, dans ces mots qu’un petit garçon handicapé a lancé à la petite fille, lors d’un goûter d’association : « moi je parle et je marche, toi tu peux même pas parler ». La petite fille a alors fait semblant de se tromper de direction et lui a foncé dessus, en pensant : « oui, mais maintenant, moi j’ai un fauteuil ».

Coup de gueule à propos de l’inclusion.

Ceci est un coup de gueule. Ça me gonfle d’entendre le mot « inclusion » et « inclusivité » quand on parle des rapports entre personnes valides et handicapées. Ça me gonflait déjà avant, mais ça me gonfle encore plus maintenant que j’ai eu à relire le passage d’un article où l’on remettait en question les effets de « l’inclusion » scolaire d’élèves handicapé-e-s sur les stéréotypes concernant le handicap : selon l’article, l’inclusion d’élèves handicapé-e-s échouerait à faire évoluer les mentalités. Ce ne serait qu’un partage d’espaces, et pas une véritable inclusion. Après avoir lu ça, j’assénais rageusement une annotation dans le corps de l’article : » Cela dit, n’est-ce pas aussi le cas concernant les problématiques de genre, par exemple ? Les petits garçons sur le stade de foot et les petites filles dans un autre endroit de la cour de récré. Peut-être faut-il préciser ce qu’on entend par « inclusion » ?) » (Comprendre : Mais… TRIPLES ANDOUILLES DE BILLEVESEES DE MES DEUX : lisez les études de genre, lisez les études postcoloniales, et faites des ponts !).
Après en avoir parlé avec ma très chère Elena Chamorro, je me suis demandé pourquoi dans un cas on parlait de mixité, et dans l’autre d’inclusion… et surtout pourquoi ça ne choquait presque personne. Maintenant je me dis que tant qu’on parlera d’inclusion, il n’y aura pas de véritable mixité valide/handi.

Sans titre

Où sont tes mots, maintenant que tu n’es plus avec moi, maintenant que tu n’es plus que flamme, terre ou distance ineffable ? Où sont passés tes mots que tu disais devant moi, pour moi ou pour d’autres, pour décrire une sensation ou pour emmerder les voisins ? Ils sont maintenant comme des fantômes qui semblent avoir disparu dans le silence de ta mort ou les abymes qui, désormais, nous séparent. Parfois, on a bien trop à faire avec les fantômes des mortes pour s’encombrer de ceux des vivantes ; alors on les fait taire pour un temps, pour écouter le silence des mortes. Dans l’écho du souvenir, par-delà l’énigme et la mémoire, tes mots me reviennent. Avec toi, est parti tout un univers de gestuelle vocale, de mimiques langagières, de petites manies orales. Avec toi, est partie ta voix ; sont partis tes mots ; et c’est tout un monde qui a été livré au silence, jeté dans la gueule de la mémoire. Des échos me viennent parfois, dans l’instant d’un souvenir. Tes mots, je les croise au coin de la rue. Ils m’ont fait peur au début ; et j’ai préféré la nostalgie à la mémoire. Mais j’ai dû apprendre à laisser s’exprimer ton fantôme un jour circonscrit, pour qu’il ne me hante pas le reste du temps. J’ai alors quitté la nostalgie, ce refuge du passé, pour me consacrer à la mémoire, cette actualité qui regarde le passé sans peur ni tristesse et tend vers l’avenir. Maintenant, tes mots, je les ai parfois sur le bout de la langue. J’ai réaménagé mon vocabulaire pour te laisser de la place et accueillir tes mots lorsque je les rencontre à nouveau. Dans ton mutisme, j’use de tes mots, sans très bien savoir qui est le ventriloque de qui. Tes mots sont désormais dans mon langage.

Le rêve de Messire Gaster

Laissons Messire Gaster à ses rêves : tout lui est dû, croit-il. Cet insupportable prétentieux ne ²donne de sa personne que par de sporadiques et douloureuses déjections. Tout le corps en fatigue. Oui, laissons ce grand renfrogné croire, si tel est son désir, qu’il gouverne son royaume : il ne sort jamais de son antre. Ce rêve solipsiste de grandeur et de pouvoir est facile pour qui ne se mesure jamais au monde.

                L’illusion de Messire Gaster s’étiole quand la terre tremble, quand le pain vient à manquer, quand il pleut des bombes ou quand un virus court le monde. D’autres organes le disent : le pouvoir de Messire Gaster devient étriqué, inadapté aux entraves des nouvelles existences, enfermé dans l’imaginaire d’un ancien ordre. Mais parfois, son royaume le rattrape et, dans son inexpérience rigide du monde, Messire Gaster perd la tête.

Pourtant, monarque jupitérien, ce n’est pas ta faute. Tu fais ce que tu peux, c’est certain. Ce n’est pas ta faute si, trop sûr de ton imaginaire et de ton regard, tu ne vois, en nous, organes qui t’entourons, qu’une seule histoire possible, qu’une fonction prédéfinie. Pour travailler, les mains doivent saisir. Pour produire, les pieds doivent marcher. Pour être utile, la bouche doit exprimer. L’ordre du corps a toujours été ainsi, il en sera toujours ainsi. Parce que c’est inimaginable qu’il en soit autrement. Dans ton regard, Messire Gaster, il y a des fictions qui enferment ton royaume dans une image préconçue. Fables faciles. Institutions imaginaires. Elles se déploient hors de toi, en toi, malgré toi, selon toi.

Mais qu’advient-il si les mains ne peuvent plus saisir, si les jambes ne peuvent plus porter, si la bouche est contrainte de se masquer, si le royaume entier est entravé ? Ces entraves ne sont que des morbidités et des déviances inutiles, crois-tu : il te faut aussitôt les effacer. Rêve donc à un corps parfait, nostalgique de l’ancien ordre que tu es. Corps qui doit être. Corps qui n’est plus. Corps qui n’a peut-être jamais été.

Au creux de cette perfection, tu t’échines à façonner ton royaume, selon l’étalon d’une illusion surannée. Tu nous isoles, tu nous condamnes, tu nous exiles, tu nous supprimes, nous,  les membres qui te paraissent gangrénés. Mais n’est-ce pas ton anathème qui nous expose à la gangrène ? Tu veux ignorer les contraintes d’une nouvelle existence. Mais le prisme de ta nostalgie entrave le corps qui advient.

Et si les contraintes n’évidaient pas le corps, mais faisaient germer en nous d’autres possibles ? Déshabitué de cette perfection qui te hante, peut-être ton regard de monarque verrait-il une nouvelle organisation éclore, où une bouche, des pieds peuvent saisir, où des mains peuvent exprimer ? Pourrions-nous, membres exilés, commencer à créer, transposer et insuffler d’autres mots et d’autres fictions à un corps qui se réinvente, parmi les entraves du monde ?

La gueule du souvenir

Vous ne me voyez pas. Jamais plus vous ne me verrez. Ma peau gît en lambeaux éparpillés sur le sol. Mon corps a été dévoré par un souvenir. C’était une bête faute qui passait sur la route que j’emprunte tous les jours pour aller au marché. Il m’a vue et a bondi. Je n’ai rien pu faire. Je n’ai même pas crié. J’ai seulement senti les crocs du souvenir s’insérer dans ma chair et la déchiqueter peu à peu. Peau déchirée, sang rougissant les pavés, organes éviscérés exposés à la vue de tous. De ses griffes, le souvenir fouille mon estomac maintenant à l’air libre, plonge jusqu’à mes reins, découpe mes intestins et mon œsophage. Sorti de sa cavité, mon cœur palpite encore à même le sol.

Désormais, je le sais, je vais disparaître dans la gueule d’un souvenir. Désormais, demain n’existe plus. Vous ne savez pas, vous. Vous ne pouvez pas savoir, à moins d’avoir vécu vous aussi cette pensée, toute la terreur et tout le désespoir qu’elle transporte en elle. Vous ne saurez éprouve l’écho de ces mots, qui résonne dans l’évidence d’un danger auquel on n’a pu échapper, dans l’imminence d’une vie qui va se finir, là, dans quelques instants, dans une seconde, ici et mmaintenant

Je l’entends arriver de loin, cet écho. L’écho des mots. Demain n’existe plus. Il va falloir annuler mon rendez-vous chez le dentiste. Il va falloir renoncer à voir mon ami lundi. Il va falloir renoncer à ce que demain. existe.

Maintenant, j’aimerais que ca arrive vite, parce que je n’en peux plus de l’angoisse qui déchire et de ces mots qui cognent et usent jusqu’à la colère, jusqu’à la tristesse, jusqu’à la moindre petite parcelle de sentiments ou de désir. Que ca arrive vite. Maintenant. Pour ne plus ressentir la peur que ça n’arrive.

Soudain, un grand silence se fait. C’est arrivé ? Pourtant, mes yeux, roulant sur le sol, voient encore et regardent mes amygdales posées à côté de mon diaphragme. Les grognements du souvenir se taisent ; son ombre s’éloigne. Il va falloir tout reconstruire.