Handicap, queer et Trou-de-Balle

A mon petit colibri en sucre. 

Une amie m’a demandé de réfléchir, pour les besoins d’un paper, sur tout ce qui introduit chez moi une forme de disjonction entre mon sexe assigné et  mon genre, sur l’impression que  j’ai parfois d’incarner une certaine forme de masculinité, sur les institutions/expériences/situations qui ont pu façonner les divers aspects évoqués. Bref, sur mon rapport au queer

Déjà, lorsque je pense au mot queer, je ne peux m’empêcher de penser au lieu où tout a commencé. C’était un squat toulousain, le très bien nommé Trou-de-Balle, ou TDB pour les intimes… je ne peux résister à l’envie de vous donner une petite explication, loin d’être purement anale, de ce mignon petit nom : le Trou-de-Balle était l’ancienne maison d’un couple dont l’un avait assassiné l’autre par arme à feu. Comme le couple était sans famille, la question de la propriété de la maison était dans une impasse juridique, et c’est ainsi qu’elle était devenue un squat transpédégouine. On raconte que les premiers arrivants avaient trouvé des trous faits dans les murs par les balles et s’étaient exclamés : « Oh, un trou de balle ! ».
A l’époque, j’avais 18-19 ans, je ne connaissais rien au queer, et presque rien au féminisme. Je m’étais accordé un week-end loin de ma prépa montpelliéraine pour visiter des ami-e-s à Toulouse qui, à mon arrivée, m’ont dit :
– Ce soir, y a une boum féministe au Trou-de-Balle…
– A quoi ?
– Tu verras. Tu viens ?
Je suis venue, j’ai vu… et je peux dire maintenant que c’est au Trou-de-Balle que j’ai vu ma première expérience queer, voire féministe. Outre la belle et grande meuf avec qui j’ai flirté ce soir-là, je me souviens que, pour la première fois de ma vie, j’ai entendu parler de Butler et de fluidité dans l’identité, de disjonction entre sexe assigné et genre. Pour la première fois de ma vie, j’ai su que je n’étais pas la seule à ressentir ce qui, pendant longtemps, n’a été que des intuitions qui s’agitaient dans le flux et le reflux de ma conscience et que j’ai enfin pu mettre en mots. Ce qui est comique, c’est qu’on me dit souvent : « toi, tu n’as qu’un savoir livresque. Tu n’as aucune expérience de la vie » (stéréotypes du handicapé no-life et de l’intellectuelle dans sa tour d’ivoire : je cumule, je cumule !). Or, là, mon rapport au queer et au féminisme s’est fait, non parce que j’ai lu, mais par la rencontre de  certains milieux.

Mais je m’égare, je m’égare. En répondant à mon amie et à son paper, je me suis rendue compte que la construction de mon identité de genre était inextricablement liée à mon rapport au handicap, à ce que les autres peuvent dire à  mon propos. Comme ça a été  très peu travaillé, il m’est apparu intéressant, voire utile, d’écrire sur l’impact du handicap dans la construction d’une identité de genre.

Comment, en étant handicapée ou vue comme telle, je peux me construire en tant que femme (ou pas), ou du moins je peux investir le féminin (ou le masculin). Je crois que tout tourne autour de la question de reconnaissance. Je m’explique :

Je ne me considère pas comme femme, je n’ai jamais pu me considérer comme telle. Je me sens très masculine – surtout en ce moment –, mais j’utilise toujours le pronom « elle » : je m’ancre dans le « elle » tout en me sentant autorisée à explorer les territoires du « il », ou du moins du « non-elle ».  Ça tient, je crois, à mon handicap et au regard désexualisant (pas de sexualité, pas désirante/désirable, pas de sexe) que les autres portent sur le handicap : je l’ai déjà dit ici, j’ai l’impression d’être reconnue avant tout en tant qu’handicapée, et jamais en tant que femme. C’est drôle, parce que même si je porte un décolleté plongeant, ça arrive que les gens disent : « le monsieur, il veut passer » et je pense que c’est cette masculinisation forcée qui m’empêche d’investir le pronom « il » et m’ancre dans le « elle », un peu comme un mécanisme de défense qui me ferait arborer fièrement le pronom « elle », là où on m’a tant de fois imposé le pronom « il » (« Elle, pas il, espèce de trou du cul ! »).  Je sais qu’en soi, c’est un paradoxe, parce que cette non-reconnaissance de moi en tant que femme, parce qu’handicapée, par le tout-venant m’amène, d’un côté, à me sentir autorisée à ne pas me cantonner aux territoires du « elle » ; et d’un autre côté, à rester attachée à mon pronom « elle », comme une micro-résistance à une agression langagière et symbolique.

Au fond, me dire lesbienne, en plus de resexualiser mon corps, me permet de me dire « elle » tout en ne me disant pas « femme » et d’activer une autre région dans les territoires du « elle », ou du moins à la jonction entre le « il » et le « non-il », mais qui ne soit pas gouverné par le mot « femme ». Car, comme chacun le sait, « les lesbiennes ne sont pas des femmes ».

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