Quelle monstration ?

Etre invitée à des conférences pour parler de handicap, parler de handicap en public, c’est un peu comme si on me réduisait et comme si je me réduisais moi-même à n’être que mon handicap : une handicapée qui parle du handicap, c’est circulaire ; c’est le serpent qui se mord la queue. Je n’aime pas l’idée de m’enfermer dans cette circularité-là. Cela me ramène à un élément qui, depuis toujours, en moi, est sur-visibilisé. j’ai toujours voulu être là où on ne m’attendait pas. Je veux continuer à être là où on ne m’attend pas. On pourrait me demander ce que ça fait d’être lesbienne, d’être asiatique, d’être une femme. On pourrait même me demander de parler du corps dans la contestation politique, des Femen, des théories féministes et queer, ce à quoi je suis davantage légitime par mon statut de doctorante qui travaille sur ces questions-là. Mais non, ce que l’on veut de moi, c’est que je sois avant tout handicapée. C’est là le piège ; et c’est là où l’on voit que l’assignation d’identité marche à plein régime.
On me dira que le handicap est caché ; et qu’il faut me montrer, que les personnes handicapées sont invisibles. Il y a ici une tension entre la monstration et la dissimulation. On cache ce que l’on considère comme monstrueux, parce que ça fait peur. Ou alors, on l’expose dans des cadres bien particuliers, délimités, pour que cela ne dépasse pas, pour le maîtriser, pour l’écouter un instant et le renvoyer ensuite loin de soi. Je ne veux pas que ma présence soit délimitée à un seul espace, à un seul ghetto de perception et de pensée. Au fond, il me semble plus efficace de m’approprier l’espace public (déconner avec un ami dans un bar après m’être enfilé deux mojitos et un Martini, aller voir un spectacle de danse, draguer dans les soirées) ; et finalement, être vivante, et non un pantin ou une marotte que l’on agite devant des yeux bien-pensants qui oublieront deux secondes plus tard. Le quotidien ne se limite pas.

Cependant, je suis consciente que l’un des problèmes, c’est la confiscation de la parole des subalternes (cf. : G. C.  Spivak, Can subaltern speak ?). Comment, alors, éviter cela ?  L’article d’Anne Verjus (http://www.huffingtonpost.fr/anne-verjus/gayatri-chakravorty-spivak-parle-avec-elles_b_6158226.html)   montre bien l’importance de l’éducation dans la prise de parole : « les subalternes, pour G. C. Spivak, ne peuvent parler qu’à condition de les insérer, en tant que subalternes, dans le « circuit de l’hégémonie » et de leur dévoiler ses codes. C’est à dire, de leur donner accès à une instruction qui ne soit pas de bas étage. »;. Or, je fais partie de la génération qui a été la première à aller à l’école en masse et à réussir leurs études. Ce faisant, on peut penser que les individus handicapés de ma génération, qui n’ont pas grandi en vase-clos, ont le même habitus que les valides, les mêmes codes, etc., et inversement : les valides ont le même habitus que les handicapés, la même histoire – nous avons tous chanté sur Allan Théo, joué aux pogs, à Pokémon et lu les 7 tomes d’Harry Potter… mais je m’éloigne un peu du sujet. –. Plus sérieusement, je crois que dès lors, les personnes handicapées sont capables de s’approprier l’espace public (à condition, bien sûr, qu’il n’y ait pas d’escaliers…). Je pense que l’appropriation de l’espace public par les personnes handicapées suscitera une banalisation du handicap, par l’habituation de l’œil valide. Cela permettra aussi le fameux « parler avec » qu’élabore Spivak. On ne saurait plus « parler de » sans objectiver les individus en question. « Parler avec » me semble apporter une dimension supplémentaire : celle du dialogue qui met sur un même pied d’égalité deux protagonistes.

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