En retraçant le parcours musical de ma généalogie amoureuse/relationnelle, j’ai repensé à la question du courage, que je me posais sans cesse quand j’étais adolescente. C’est quoi, vraiment, le courage ? Je me méfie de ce mot, je ne l’aime pas. Que de fois on me l’a lancé au visage, par des gens qui ne connaissaient rien de ma vie, de mes peurs, de mes aspirations ! Dans les couloirs du collège catho, j’entendais souvent les dames de la catéchèse s’extasier sur mon passage : « Quel courage ! ». Certes, au début, ça me flattait : à onze ans, on n’a de cesse de vouloir se sentir exceptionnelle, on aime bien l’idée d’être admirée, quelle qu’en soit la raison ; mais très vite, j’ai senti qu’il y avait un problème, même si je n’aurais su dire quoi. Après tout, ces dames étaient toutes bien gentilles, et je leur souriais en passant, parce qu’il fallait se montrer polie avec tout le monde au collège. Et elles étaient contentes que je leur souris. Et tout allait bien. Alors pourquoi ça me gênait, un peu, puis de plus en plus ? Pourquoi ce mot « courage », que j’avais aimé pourtant, m’agaçait et me paraissait de plus en plus creux ?
Et puis, il y a eu mon premier amour. Il y a eu le lesbianisme, les mille questions à affronter seule en silence, tous mes repères qui s’écroulaient, la peur. La vraie peur. Et puis, un peu avant mes quinze ans, cette décision de ne plus me penser hétéro, de changer d’étiquette, d’abandonner la dernière parcelle de normalité, croyais-je, encore à ma portée. Pour moi, c’était la première fois que je faisais preuve de courage. Décider ça, même si j’étais terrifiée, même si je n’avais pas encore de communauté à qui m’en remettre, accepter l’arrachement, cette impression de ne plus rien savoir de soi. Les dames de la catéchèse avaient beau dire, je ne les croyais plus, car elles-mêmes ne semblaient pas savoir vraiment ce que ce mot voulait dire. Dans le courage qu’elles m’assignaient, je n’avais rien décidé du tout, j’étais handicapée, j’étais là, j’allais au collège, un point c’est tout. Dans le courage que moi je vivais, il y a eu une décision, un choix ; et, quelque part, je préférais mon courage au leur, car, au moins, j’en étais actrice.
Plus tard, je me suis demandé si, à cette époque-là, j’avais vraiment fait preuve de courage, si j’avais vraiment le choix de ne plus me penser comme hétéro, ou si ce n’était pas devenu une nécessité – sinon, j’aurais psychologiquement crevé –. Peut-on parler de courage quand il y a nécessité ? A l’inverse, a-t-on vraiment le choix, lorsqu’on ne sort pas du placard ? Je me suis toujours refusé à y voir un quelconque manque de courage. Je n’ai toujours pas les réponses à ces questions, mais au moins, je sais dire pourquoi le courage validiste me soûle grave.