Un corps qui a appris l’indiscipline.

A l’aube de ma soutenance de thèse, je publie un texte né il y a quelques mois. Entre sa naissance et cette publication, plusieurs discussions entre ami-e-s m’ont donné envie de le partager à un plus large public. Mais j’attendais le moment propice pour le faire ; et je crois qu’il est venu…
J’ai écrit ce texte en mars 2019 pour une commande. Mais il n’a pas pu être publié en l’état – trop long. En même temps, j’achevais la rédaction de ma thèse : j’ai alors retouché quelque peu ce texte, pensant qu’il pouvait constituer une bonne ouverture à l’étude que j’ai menée pendant six ans. Ce texte a donc connu de nombreuses transformations au cours des derniers mois. C’est la version initiale que je publie ici.

 

Je suis chercheuse en science politique. Je suis performeuse. Je crois que ces deux activités – intellectuelle et artistique – sont intrinsèquement liées dans la puissance créatrice : j’ai tendance à vivre la recherche comme un processus créatif, au même titre que la création artistique. Créer un concept ou créer une esthétique ; dans les deux cas, en créant, on dit le monde et on se dit soi-même dans le monde. Il s’agit d’ « autobiographier le monde » selon la formule de Stanley Clavel, d’y apposer sa signature. Je ne crois pas à la neutralité scientifique, à la blouse blanche que, selon Claude Bernard, le savant troquerait à l’entrée de son laboratoire contre son manteau de ville. Je ne crois pas au moi créateur proustien qui se distinguerait du moi social de l’écrivain et protègerait ainsi la sacralité de la création artistique des choses vulgaires du quotidien. Pourtant, l’expérience quotidienne peut être source d’une force heuristique et artistique ; il y a une certaine porosité réciproque entre ces trois sphères car le quotidien permet d’éprouver – aux deux sens du terme – la production intellectuelle et artistique : tout en mettant à l’épreuve une théorie par les nuances qu’elles apportent, les expériences permettent de ressentir intimement la réalité qu’un concept éclaire et que la création artistique vient ensuite exprimer. Autant le quotidien de mon corps de lesbienne handicapée d’origine coréenne marque de son sceau ma production intellectuelle et artistique ; autant ma création appose sa signature sur mon corps et mon expérience. C’est cette tension que je voudrais explorer dans ce texte.

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Le 30 novembre 2018, je performais sur la scène de l’amphithéâtre du Musée d’Art  Contemporain du Val de Marne, dans le cadre du festival « Attention Fragile », organisé par le musée. Intitulée « Quasimodo aux miroirs »,

La figure de Quasimodo, ce personnage de  Notre Dame de Paris, le célèbre roman de Victor Hugo, a été très présente durant mon enfance. J’avais six ans en 1996 lorsque sortit le long-métrage Disney, Le bossu de Notre Dame ; huit ans en 1998 lorsque fut donnée la première de la comédie musicale, Notre Dame de Paris. Pendant l’enfance, j’ai donc  côtoyé assidûment ce personnage, rare représentation du corps handicapé disponible dans les productions culturelles ; et je me suis peu à peu construite avec cette fiction de corps monstrueux, esclave, puis héros, mais toujours rattrapé par son destin tragique. J’ai toujours entretenu une relation ambivalente à Quasimodo, m’identifiant à lui malgré moi, craignant d’être lui, ne voulant pas être lui. Il me hantait, ainsi que sa monstruosité supposée. Peu à peu, je me suis crue monstre, montré du doigt dans la rue. Cette performance essaye de dire ces sensations monstrueuses dans mon corps adolescent, comment j’ai peu à peu ingéré tout l’imaginaire du corps handicapé qui, à propos de mon corps, trompe l’œil des passants dans la rue et trompe aussi mon propre regard. Cette performance essaye aussi de retracer le lent cheminement vers la réappropriation de mon corps et la réinvention de ma narration intime, d’exprimer le progressif apaisement de ces sensations de monstruosité par la pratique artistique, l’engagement féministe et la recherche théorique.  Cette performance s’inspire largement de mon travail doctoral et peut être interprétée comme une mise en forme artistique d’un travail théorique, faisant des liens avec des concepts que je développe dans mes recherches, notamment les scripts corporels et les corps-repoussoirs. Ces concepts reposent sur l’idée que certaines représentations de corps, les corps fictifs, structurent un certain regard sur les corps, et reflètent les façons dont on montre les corps dans le monde social, notamment par le biais des productions culturelles. Ces fictions de corps – les scripts corporels – fournissent souvent des modèles ou des contre-modèles auxquels le regard et les corps réels doivent se conformer ou non. Ce sont ces contre-modèles, ces images négatives de corps que j’appelle les corps-repoussoirs. Ces corps-repoussoirs permettent une sorte de mise en ordre parmi les corps réels, car, de même qu’il y a des fictions de corps qui disent ce que doivent être les corps, les corps-repoussoirs prescrivent ce que ne doivent pas être les corps et les façons dont ils ne doivent pas se montrer. Dans cette performance, je tente donc de mettre en lumière la façon dont le personnage de  Quasimodo m’a peu à peu appris à me croire un corps repoussoir. Je montre comment les logiques sociales, par le biais des productions culturelles, ont façonné ma narration intime et construit de la vulnérabilité dans cette narration ; et comment, ensuite, j’ai réinvesti la figure de Quasimodo en interrogeant les scripts corporels qui en construisent la représentation négative. Je tente de dire enfin, comment, à travers d’autres productions culturelles, telles que le film Huit femmes, les chorégraphies de Pina Bausch ou l’œuvre littéraire de Monique Wittig par exemple, je me suis réappropriée mon corps

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J’ai l’impression d’avoir passé des années à être injuste avec mon corps. Pendant longtemps, j’ai été confrontée au discours et au regard validistes, empreints d’exceptionnalisation, d’héroïsation, de condescendance. Par des regards, des intonations et des gestes, j’ai peu à peu intériorisé les fictions hégémoniques du corps handicapé, attenant au corps  monstrueux, à l’existence tragique, au regard condescendant : « vous êtes une leçon de vie ! », « la pauvre ! », « elle a bien du courage ! »,  « Mais comment elle fait ? C’est merveilleux », je ne savais que faire de tous ces mots, de toutes ces phrases par une bienveillance un peu dégoulinante et visqueuse qui semblait réduire mon corps à mon handicap et ma vie à une existence tragique et douloureuse où ne semblait poindre aucune joie. Déjà adolescente, je ressentais cette réduction de mon être par le regard d’autrui. A cette époque, j’écrivais des poèmes où se ressentait un certain spleen. La plupart de ceux et celles qui les lisaient, mettaient ce spleen sur le compte du handicap : l’idée ne les effleurait même pas que je jouais un rôle inspiré de ma fascination pour les poètes maudits  ou les dandies baudelairiens. Ou alors, ils et elles ne s’imaginaient pas que ce spleen poétique était causé par quelque chagrin d’amour, connu de toute lesbienne étant un jour tombée amoureuse d’une femme hétérosexuelle. Dans le regard de certain-e-s lecteur-ice-s, ma poésie était donc réduite à mon handicap, et avec elle tout mon être entier. C’est donc par ma pratique poétique que j’ai pris conscience de ce simplisme apposé par les autres sur mon être ; et c’est aussi par ma pratique poétique que j’ai alors ressenti le besoin de lutter contre l’amoindrissement de mon existence, en revendiquant la complexité de ma réalité. C’est par ce biais-là que j’ai appris l’importance de savoir dire : « Ne réduisez pas ce que j’écris à mon handicap, ne me réduisez pas à mon handicap. Je suis bien plus complexe que ce que vous imaginez ».

Être réduite à mon handicap, être niée dans ma complexité, est une violence symbolique ; et mon corps en a connu mille autres, car à l’instar des violences homophobe, raciste, transphobe, ou sexiste qui peuvent blesser, voire tuer, il y a une violence validiste que des regards et des mots quotidiens infligent à chaque corps handicapé. Cela peut être ceux d’une auxiliaire de vie qui dit : « mon copain a peur quand je lui montre une photo de toi ». Ou alors, ils peuvent sortir de la bouche d’une directrice d’un grand lycée qui essaye de refuser une étudiante au motif du handicap, et qui, ensuite, fait savoir qu’elle ne veut pas qu’elle la salue avec nos pieds, « parce que ça la dégoûte ». Ces mots, enfin, peuvent être proférée, au cours d’un repas entre ami-e-s au Mc Do, par une dame inconnue, qui fait des mimiques dégoûtées quand elle voit qu’on mange des frites avec les pieds et crie, à la fin, que c’est inhumain.

La violence, c’est l’imaginaire qui s’abat sur les corps. Nous l’absorbons inexorablement. De nos plaies et de nos blessures, s’écoule un sang invisible qui agence l’intérieur de notre corps. Face à cette violence, nous ne demeurons jamais intact-e-s

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            Soigner mes plaies, soigner ces blessures graves – graves, parce qu’invisibles : j’ai alors eu besoin de travailler sur la question du corps pour voir comment les logiques sociales façonnaient les corps et le regard lié au corps. C’était un besoin presque vital, parce que mon rapport à mon corps et à moi-même s’était rigidifié dans une sensation de monstruosité mortifère. Très vite, j’ai décidé de travailler sur les corps féminin, homosexuel et trans, c’est à la fois travailler sur son propre corps, se ménager un espace réflexif pour penser sa propre expérience ; et travailler sur le corps de chacun-e, écouter d’autres expériences, monter en généralité.

Peu à peu, j’ai compris que je n’étais pas une exception de corps, un corps monstrueux et dangereux ; que beaucoup d’autres corps subissaient de la violence ; que cette violence n’était pas la responsabilité du handicap ou de mon corps handicapé – puisqu’elle s’appliquait aussi à des corps non handicapés, mais relevait d’une responsabilité collective, relevait de la responsabilité du collectif. Peu à peu, dans les méandres de ma pensée en train de se former et des pratiques corporelles, politiques et artistiques que j’expérimentais alors, j’ai arrêté de culpabiliser, de me sentir contrainte à m’expliquer de mon existence, à m’en excuser. Peu à peu, je me suis dit que je n’aurais pas d’autre corps : je ne devais donc pas attendre d’avoir un corps plus légitime. Puisqu’il existait, mon corps était déjà légitime face au regard des autres et face à mon propre regard. C’est ce lent – mais nécessaire et salvateur – cheminement que je vais exposer maintenant.

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            Tout a commencé lorsqu’à vingt-et-un ans, j’ai quitté ma ville (presque) natale, petite ville du sud de la France, pour venir vivre à Lyon et y poursuivre mes études. J’ai alors décidé de travailler, dans mon mémoire de Master 1, sur le corps comme instrument de contestation politique. Dans le même temps, en fréquentant le milieu féministe libertaire et transpédégouine, ses ateliers d’écriture, ses réunions, ses stands de brochures, ses discussions, je faisais mon entrée en féminisme. Je dis souvent que je suis arrivée au féminisme par mon expérience du handicap ; et que le féminisme m’a aidée à penser mon expérience et mon rapport à mon corps handicapé.

Entrer en féminisme, c’est désapprendre ce que les logiques du vaste monde nous inculque ; c’est découvrir un tout autre univers et en épouser ses logiques, ses schèmes de pensée, ses codes, ses références, sa mythologie. C’est désapprendre la fraternité au profit de la sororité et abandonner le mot : « camarade », pour le mot : « copine ».

Lors de mes premiers pas dans ce nouvel univers, il y a eu deux découvertes qui m’ont marquée. La première concerne le sentiment de monstruosité car, au cours de nombreuses discussions avec les copines, ce sentiment revenait sans cesse, s’incrustant autant dans mon corps que dans les leurs, que je considérais comme valides – voire, pour certains, plutôt charmants. Certains regards du vaste monde les jugeaient monstrueux, à cause d’une courbe, d’une forme, d’un désir, d’un appétit, d’une attitude. Je me sentis alors moins seule face à ma propre impression de monstruosité : je me reconnaissais en elles, liée à elles par un curieux sentiment de sororité. Je compris aussi que la monstruosité que je ressentais n’était pas propre à mon corps, à nos corps, mais que c’était plutôt l’affaire des regards qui s’apposaient sur moi, sur nous. Le monstre n’habite pas les corps, mais le regard qui les voit.

Mon second étonnement lors de mon entrée en féminisme, c’est le refus de juger les personnes selon les normes en vigueur dans le vaste monde. Même si j’ai appris par la suite que les milieux féministes sont régis, comme tout milieu, par des normes qui lui sont propres, je voyais en cette apparente indulgence – et c’était alors ce qui m’importait le plus – une formidable source de puissance, voire de réconfort, qui m’offrait une autre façon possible de penser, de me penser et d’être pensée, à moi qui avais connu jusque-là le regard jugeant du milieu scolaire et du vaste monde et me pensais illégitime en mon corps, en mes désirs et en mes sentiments. Avec le féminisme, j’ai peu à peu appris à penser ce que mon corps était, et non ce qu’il devait être.

Mon entrée en féminisme, le début de mon engagement politique, a suscité en moi des bouleversements majeurs qui ont recomposé ma pensée et mon rapport au corps. Ce sont, je pense, ces renversements dans ma perception de moi-même qui ont été à l’origine de tout ce qui allait suivre.

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Cette même époque marque les débuts de mon travail de recherche sur le corps. J’ai commencé à lire Les techniques du corps de Mauss. Ce que j’y trouvais alors me semble aujourd’hui évident, mais à l’époque, ce fut comme une révélation : le corps, loin d’être un donné naturel, est façonné socialement ; il est en lui-même une construction sociale. Lire Mauss m’a ensuite amenée à lire des textes de Guillaumin et de Foucault, qui reprenaient chacun-e à leur manière l’idée que les logiques de pouvoir sculptaient le corps. En même temps que ces lectures, je me suis intéressée au concept du Corps sans Organes, créé par Artaud et repris par Deleuze et Guattari. Ce concept vise à penser la tension, qui traverse toute la philosophie deleuzienne, entre virtualité et actualité ; le Corps sans Organes est un corps dont l’organisation interne, non encore définie, permet à de multiples possibles d’advenir. On pourrait résumer l’idée que recouvre ce concept par la phrase spinozienne : « On ne sait jamais ce que peut le corps ». De ce premier travail de recherche, j’en ai tiré l’idée que, malgré l’apparence naturellement intangible du corps, rien n’y est figé et qu’il y est avant tout affaire de représentations, d’images et de regards.

Mon second mémoire s’inscrivait dans la discipline « Histoire de la pensée politique » et portait sur le corps de l’artiste dans la contestation politique. Je m’attachais alors à décrire comment la non-naturalité du corps se faisait jour dans la pensée politique des XIXème et XXème siècles, ce qui permettait alors au corps de devenir un enjeu politique de prise en charge sociale : loin d’être un donné naturel, sacré et intouchable, le corps – et avec lui, la notion d’identité – devenait une construction sociale malléable et modifiable, que l’on pouvait réinventer. Je montrais ensuite comment deux artistes – Claude Cahun et ORLAN – s’emparaient de ces notions, afin de réinventer l’idée de corps.

Dans ce second travail de recherche, je laissais aussi libre-cours à ma fascination pour l’univers dandy. Cette fascination s’explique en grande partie par mon aversion de ce dualisme un peu trop facile entre le naturel et l’artificiel : je déteste cette fadaise grossière selon laquelle le naturel est toujours préférable à l’artificiel. Le mouvement dandy, quoique très discutable politiquement, m’a toujours intéressée, en ce que ses membres opèrent un renversement heuristique très fort, valorisant toujours l’artificiel. C’est l’éloge du maquillage, c’est une ironie constante envers l’état de nature, c’est la valorisation de l’artifice qui rend beau le naturel jugé trop brut et trop grossier. On y trouve en fin de compte l’idée de la création de la réalité par l’art : ce n’est pas l’art qui naît à partir du monde, mais c’est bien le monde qui naît à partir de l’art. Je voyais aussi, dans la figure de l’esthète élégant, les germes de l’idée que le corps peut être création artistique, matière jamais figée mais en constante réinvention. Cette idée est développée dans les œuvres de Claude Cahun et d’ORLAN, comme une possibilité de résister aux oppressions des regards par la réinvention du corps par l’art, que ce soit au niveau des images du corps – pour Cahun ; ou bien plus radicalement, au niveau charnel – pour ORLAN.

Le corps est donc plus affaire de représentations sociales et d’images que de naturel et de biologie ; et s’il s’agit davantage de regard et d’imaginaire, on peut donc le réinventer sans cesse et jouer avec les mises en scène du corps. En même temps que la rédaction de mon mémoire, je rédigeais mon projet de thèse. A cette époque, j’envisageais de traiter des vêtements et de la nudité dans la contestation politique, sujet que j’ai dû restreindre ensuite à la seule nudité. Cependant, une problématique de ce projet de thèse originel est demeurée, bien que mon sujet se soit redéfini : il s’agissait toujours de se demander en quoi les corps dominés peuvent se mettre en scène dans l’espace public pour contester les logiques de domination. Autrement dit, comment les corps parvenaient à jouer avec le regard dominant et à réinventer leurs mises en scène.

La réinvention du corps. La réinvention de son corps. La réinvention de soi. C’est à partir de cette année-là que j’ai posé ce fondement ; et alors, j’ai compris que mon corps pouvait être une création artistique, que je pouvais travailler, inventer, démultiplier par de nouvelles significations, au lieu de le laisser subir la réduction simpliste infligée par les regards. Depuis longtemps, la question du regard sur mon corps me hantait. Il fut un temps où j’ai voulu paraître assez forte pour l’ignorer et ne plus le subir. En vain : ce regard existait. A une autre période, trop absorbée par la honte de mon corps et le chant des sirènes d’une normalité supposée et d’un corps valide fantasmé, je voulais disparaître pour ne plus faire subir aux regards la vue de mon corps affreux. En vain : j’existais, mon corps aussi. Cependant, à partir de l’année de mon Master 2, je n’ai plus voulu ignorer le regard sur mon corps, ni le fuir, ni le subir, mais plutôt m’en emparer et jouer avec. Pour moi, la mise en scène de son corps signifie qu’à défaut de pouvoir choisir de ne pas être regardée, on peut tout de même choisir la manière dont on veut être regardée. J’arrêtais de vouloir être invisible ; je dirigeais le regard là où il m’était le plus confortable. C’est à cette époque que, dans les soirées et autres événements publics, je me suis mise à porter un chapeau-feutre, une cravate, des boucles d’oreille et du vernis. Ce style vestimentaire, jouant avec l’idée d’androgynie, comportait deux avantages primordiaux : en plus de me permettre d’explorer une identité de genre plus confortable que j’étais en train d’aménager à l’époque, j’avais remarqué que le regard se portait alors moins sur mon fauteuil roulant que sur mon chapeau : cela donnait lieu par exemple à des échanges plus fluides et légère dans des soirées, alors que, la plupart du temps, mes échanges avec des personnes inconnues étaient alourdis par la viscosité de l’infantilisation, voire la déshumanisation.

Créer ce nouveau style vestimentaire m’a permis de commencer à aménager mon corps, d’en créer de nouvelles images et mises en scène qu’il m’était plus aisé à porter. Peu à peu, je découvrais le confort en mon corps.

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            C’est l’année de mon Master 2 que j’aessenti le besoin de commencer une psychanalyse. A posteriori, je dirais que cela s’inscrivait aussi dans la démarche qui traversait alors toute mon existence : me réinventer – en l’occurrence, par les mots – pour mieux me trouver et apprivoiser mon corps.

Cinq mois après le début de ma psychanalyse, j’ai donné ma toute première performance de danse. C’est, je crois, le confort que je commençais à ressentir en mon corps qui me permettait cette performance, cet acte à la fois violent et libérateur.

Dans l’enfance, j’avais pratiqué la danse contemporaine ; mais durant l’adolescence – à part quelques rares stages –, je n’avais pas poursuivi, persuadée que les gestes que produisait mon corps ne pouvaient être qu’empreints de laideur et qu’ils ne méritaient pas d’être montrés. Pourtant, je sentais parfois que mon corps était pris d’une furieuse envie de s’exprimer par la danse. J’improvisais alors sur une musique quelques mouvements, cela sur le parquet de ma chambre, bien à l’abri des regards. C’étaient des moments où j’avais l’impression de me trouver seule face à mon corps et je me sentais très vulnérable, très exposée. Je ne supportais pas que d’autres me regardent faire ces improvisations chorégraphiques, et encore moins de me filmer et de me regarder ensuite danser. Regarder et montrer mon corps dansant m’étaient chose très pénible, voire impossible.

C’est donc très significatif que ma première performance ait eu lieu, chez moi, devant tou-te-s mes ami-e-s proches de  l’époque, réuni-e-s à Lyon pour fêter mon vingt-troisième anniversaire – certain-e-s étaient venu-e-s de très loin. Il y avait quelque chose de l’ordre de la renaissance, et il m’était très important que mon corps renaisse sous des regards aimants et bienveillants. Cette première performance, comme toutes les autres ensuite, je l’ai vécue dans un mélange de douleur et de joie. C’était un arrachement à soi, une lutte contre soi, mais qui était à la fois un acte salutaire et libérateur. Il y avait de la violence dans mon geste, une violence que je m’infligeais à moi-même – mais naître n’est-il pas l’acte le plus violent qui soit ?

Dès lors, l’envie et le besoin de danser ne m’ont plus quittée…

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Ensuite, il y a eu l’accident. Accident, dont je tairai les circonstances exactes, qui a laissé mon corps indemne, cependant  que mon psychisme a dérivé, toute une année durant, dans les affres quotidiens d’angoisses de mort. Je me trouvais incapable d’effectuer le moindre travail intellectuel ; mon  cerveau semblait s’être éteint dans une morne inconsistance. Seule semblait fonctionner sa partie créative.

J’ai alors laissé de côté le travail intellectuel et mon engagement féministe, pour débuter la rédaction d’un roman. J’y racontais l’histoire de Nerga Capior, le premier de mes alter-ego, et de la reconquête de son corps, un corps qui faisait de bien étranges choses : il pouvait devenir gazeux ou s’alourdir comme du plomb, il pouvait devenir pluie ou s’étirer jusqu’à l’infini.

Dans ce grand théâtre diégétique que je bâtissais, je portais le masque et le costume de Nerga Capior. Je l’ai dit : l’idée de jouer le rôle d’un personnage qui n’est pas tout à fait moi ni tout à fait autre, a toujours animé mon écriture. J’aime me déguiser et prendre corps en d’autres personnages, pour explorer, incarner et activer diverses possibilités en moi. L’idée de porter un masque pour  mieux travailler les contours de mon visage s’inspirait directement de mon travail de recherche sur l’œuvre de Claude Cahun, et notamment de son « carnaval en chambre » et de cette phrase que l’on peut trouver au sein d’un de ses montages photo : « Sous un masque un autre masque, Je n’en finirai pas de soulever tous ces visages ». Par ailleurs, l’écriture de ce roman me permettait d’explorer encore davantage la tension entre naturel et artifice, par le biais de la fiction qui permet de travailler à la mise en question d’anciennes évidences du regard pour mieux faire éclore d’autres perceptions possibles : traiter mon corps handicapé sous l’angle du merveilleux poétique semblait aller contre les traitements littéraires et cinématographiques du corps handicapé qui courent habituellement dans les productions culturelles dominantes et montrent le personnage handicapé comme enfermé dans son corps et dans une existence marquée par la déchéance. Le corps fictif que je m’écrivais alors me permettait de faire advenir une autre vérité de mon corps, empreinte de plus d’enthousiasme.
Cependant, avec le recul, il me semble que le recours au merveilleux et au poétique ne m’a pas permis d’aller jusqu’au bout de ma démarche, que j’ai peu à peu abandonné : je voulais écrire sur mon corps, mais je le ratais toujours quelque peu, à cause de la médiation encore trop présente des métaphores qui, au final, dissimulaient plus qu’elles ne montraient la réalité charnelle et organique de mon corps. Sans doute, à ce moment-là, avais-je encore un peu peur de mon corps ?

Des traces publiques de ce roman, il ne reste plus que quelques extraits que j’ai réutilisés pour ma performance «  Quasimodo aux miroirs ». Cependant, son écriture a permis de préciser beaucoup d’intuitions que j’avais alors, quant à mon rapport au corps, quant au regard social sur les corps et à la force ambivalente de l’imaginaire.

Parallèlement à la rédaction du roman, j’ai recommencé à pratiquer la danse contemporaine. Ma première performance semblait avoir fait céder en moi un verrou, libérant mon corps d’un long silence forcé. J’avais envie de danser, d’approfondir cette pratique. J’en avais besoin. C’était une nécessité inscrite dans ma chair. J’ai donc cherché des ateliers de danse dans lesquels je pouvais m’inscrire. Après moult péripéties plutôt négatives, je trouvais un cours qui m’accepta.

Toutes les semaines, mon corps s’est mis à parler. Je n’ai pas tout de suite compris toutes les implications de la danse de mon corps handicapé, puisque c’était un besoin immédiat et irrationnel que j’assouvissais. Dans un second temps seulement, j’ai construit du sens et j’ai compris qu’à l’instar du roman que j’étais en train de rédiger, la danse me permettait de me réinventer en mon corps, loin de l’imaginaire validiste qui efface nos corps handicapés, notre présence au corps. J’affirmais mon corps en dansant.

Les cours de danse m’ont aussi fait comprendre que ce que l’on faisait dire aux corps dépendait des situations dans lesquelles ils s’exposaient ; et que la bienséance de certaines postures corporelles dépendait seulement du contexte social : lorsque je rampais sur scène, on m’applaudissait, alors que partout ailleurs on aurait au mieux accouru pour me relever. Je voyais aussi certain-e-s danseur-euse-s valides travaillaient pour prendre des postures que mon corps prenait habituellement et dont j’avais honte car, en ces postures,  je voyais autant d’images dévalorisées du corps handicapé ; mais ces mêmes postures valorisaient le corps des danseur-euse-s valides. Alors pourquoi ne valoriseraient-elles pas aussi mon corps ?

Ici encore, je voyais que rien dans la saisie des corps n’était figé : certaines de mes postures corporelles ne voulaient rien dire en soi et que je pouvais les évider de leurs significations communément admises et leur donner un sens qui me convenait mieux.

Un an après, j’ai  donné ma première performance publique – la première d’une longue série. Chaque performance est une source de force et de vulnérabilité mêlées.

A chaque performance, se pose une question d’ordre scénique : je dois surmonter « le problème du montreur d’ours » : en un corps handicapé qui danse, le regard commun – et donc dominant – voit un corps que l’on montre, un corps passif dans la monstration, un corps qui subit la monstration. Un des enjeux de mes premières performances était de trouver une façon de me faire voir en tant que corps qui s’expose, qui prend en main sa monstration. Pour la première performance publique, j’ai écrit un texte, lu par ma voix de synthèse, où je me proclamais actrice de la monstration de mon corps. Je ne sais si ce dispositif était efficace pour orienter le regard des spectateur-ice-s dans la direction que je voulais, mais il m’importait de dire que j’avais conscience des implications possiblement voyeuristes de l’exposition de mon corps et que je n’étais pas dupe du regard.

Entretemps, j’avais renoué avec le travail intellectuel et repris mon travail de recherche. J’avais développé de très fortes amitiés, par des discussions quasi-quotidiennes sur le corps, nos corps, la sexualité, nos relations, la recherche, nos travaux, le féminisme, nos engagements. Avec ces ami-e-s, j’ai peu à peu repris le chemin de l’engagement féministe et effectué peu à peu mon virage queer, qui m’a permis de penser mon identité avec davantage de fluidité encore. Je dansais souvent avec l’une de mes amies et, ensemble, nous explorions ainsi les possibles de nos deux corps. Désormais, je n’étais plus seule face à mon corps.

C’est à cette époque que j’ai découvert la littérature de Monique Wittig. J’avais déjà eu vent de ses textes, notamment de sa très fameuses phrase : « Les lesbiennes ne sont pas des femmes » – phrase que je ne comprenais alors pas mais qui n’a eu de cesse de m’habiter. Mais un jour, une amie m’a offert Le Corps Lesbien. A sa lecture, j’ai été très impressionnée par son écriture très anatomique, très sculpturale. Elle écrivait différemment le corps et la sexualité, ce qui rejoignait l’idée de réinvention des corps. Avec Le corps lesbien, puis La pensée straight, J’ai peu à peu compris cette phrase qui me hantait : l’hétérosexualité étant régime politique d’oppression patriarcale, les femmes sont ici pensées dans leur soumission au régime hétérosexuel, alors que les lesbiennes sont vues dans leur insubordination au système patriarcal. Ici, le lesbianisme est vu moins comme une orientation sexuelle que comme une identité politique. L’opposition entre femme et lesbienne semblait en outre éclairer ce que j’avais toujours perçu de mon corps : j’ai toujours eu du mal à ressentir ma féminité, le regard validiste désexualisant mon corps et me reconnaissant rarement en tant que femme. Je n’ai donc jamais ressenti aucun attachement à la féminité et à ma reconnaissance en tant que femme. En revanche, je crois être viscéralement attachée à mon pronom « elle », qui a été l’objet d’une lutte quasi-quotidienne pour me faire reconnaître en tant que t-elle : depuis l’enfance, les passant-e-s dans la rue me mégenrent souvent :    voir accolé le pronom « il » sur mon corps est peu à peu devenu source d’inconfort et de sentiment de négation. Investir l’identité de lesbienne me permettait d’explorer ce hiatus entre mon indifférence à la féminité et mon attachement à mon pronom « elle » : demeurant encore dans les territoires du « elle », je pouvais parcourir d’autres contrées que ceux de la féminité. M’emparer de l’identité de lesbienne me permettait aussi de dire, d’une part, mon attachement à cette part de moi que, depuis l’adolescence, je construis, en cherchant d’autres modèles, une autre mythologie, et me fabriquant peu à peu un autre mode d’être au monde ; et d’autre part, d’affirmer ma sexualité et de me réapproprier mon désir, là où le regard validiste tronque ces parts essentielles de mon corps. De corps handicapé, je me suis peu à peu réinventée en corps lesbien.

C’est aussi à cette période que j’ai commencé à m’intéresser à la pornographie alternative. Un jour, une amie m’a prêté le documentaire réalisé par Virginie Despentes, intitulé Mutantes, qui retraçait l’histoire des mouvements du féminisme pro-sexe et du post-porn : ces mouvements s’emparent des représentations sexuelles et du plaisir pour en faire des armes politiques. Visionner ce documentaire a eu l’effet d’un nouveau renversement de perspective, puisqu’il développait l’idée que les sexualités étaient culturellement construites, voire que les sexualités pouvaient être une création artistique. C’est ce documentaire qui m’a fait prendre conscience qu’à l’instar de mon  corps, je pouvais réinventer ma sexualité, loin de toutes les images de sexualité valide et hétérocentrée. Rien n’était figé, même dans la sexualité. Cependant, il m’a fallu encore beaucoup de temps pour oser m’emparer de toutes les potentialités de ma sexualité lesbienne.

C’est avec mes amies que j’ai organisé mes premières journées d’étude et fondé, plus tard, une petite structure de recherche consacrée aux  études queer et à la notion d’intersectionnalité. C’est à l’occasion d’une de ces journées que j’ai participé à mon premier atelier drag king. J’ai aujourd’hui un rapport ambivalent à cette pratique, pouvant se résumer à l’incarnation souvent parodique des codes de la masculinité par des corps assignés féminins. Cela ne me convainc plus totalement, mais à l’époque j’y voyais un moyen de prolonger mon goût pour la mise en scène de moi en d’autres rôles, ainsi que l’exploration de mon corps et de ses possibles par l’élaboration d’un personnage fictif et éphémère. C’est ainsi qu’est né Léo, mon deuxième alter-ego. Sa naissance semblait s’inscrire dans la même démarche que celle qui traversait la création du personnage de Nerga Capior : l’activation de divers possibles en mon corps par la création d’autres que moi. Cependant, la pratique du drag me permettait d’aller plus loin dans l’exploration, en ce que je dépassais la simple mise en scène littéraire, pour une mise en scène corporelle. Le personnage que j’entendais jouer ne vivait plus seulement en mon écriture, mais s’inscrivait à même mon corps qui s’avérait assez grand, solide et malléable pour porter ce rôle. Toute la semaine précédant l’atelier drag king, j’en doutais, ne sachant pas par exemple comment masculiniser ma gestuelle : j’avais l’impression de devoir performer une masculinité valide, trop large pour être abritée par mon seul corps. Dans un atelier drag king, on considère souvent que le genre est affaire  de postures corporelles ; et que jouer avec les codes du genre, c’est parodier ces postures. Je pense n’avoir jamais réussi à modifier ma gestuelle, à performer la masculinité. Contrairement à ce que disent d’autres personnes qui pratiquent le drag king, je ne me suis jamais sentie incarner la puissance du masculin, en me kingant. Et pourtant,  durant cet atelier, j’ai senti mon corps très puissant, comme élargi par un rôle réinventé. Avec le recul, je me demande si cette puissance, décrite par celles qui pratiquent le drag, réside vraiment dans la performance du masculin ; ou si elle ne réside pas plutôt dans l’incarnation d’un rôle qui leur permet d’explorer théâtralement les possibles de leurs corps.

Quelques mois avant, j’avais forgé le nom de No Anger. Je ne savais pas encore que, de là, naîtrait mon troisième et ultime alter-ego. J’avais créé ce nom pour une performance de danse nue, dans le film d’Emilie Jouvet, intitulé My body My Rules. Mon travail de recherche sur la nudité m’a permis peu à peu de penser l’exposition d’un corps nu comme moyen de réinvention de soi, de son corps et de sa sexualité, ce qui m’a permis, après une année de réflexion, de me sentir autorisée à faire cette performance. En retour, grâce à cette performance, j’ai pu développer certaines réflexions qui se sont avérées par la suite centrales dans mon travail de recherche, notamment sur la notion de pudeur et la sexualisation des corps. Le tournage du film a été une expérience très forte et, je crois, le point culminant de la réinvention de mon corps. Cependant, après le tournage, deux années se sont écoulées où j’ai eu honte de cette performance.

Cette honte était due à la violence de certains mots reçus par mon corps, après le tournage : pute, salope, corps difforme qu’il serait malsain de montrer publiquement. Selon certain-e-s encore, ce que j’avais fait condamnait mon avenir et ma carrière universitaire. Ces mots se sont peu à peu immiscés en moi, la violence aussi ; et j’ai cru devoir taire et dissimuler ce que j’avais produit durant cette performance.

Deux ans plus tard, à l’approche de la sortie du film, j’ai acquis de plus en plus de fierté à avoir ce geste de porter mon corps nu à l’écran. Pendant ces deux années, j’avais investi le personnage de No Anger, décidant d’en faire mon corps et ma voix publiques et je voyais dans le regard de beaucoup de personnes de la bienveillance, quant à ma performance. J’ai alors décidé d’en parler en introduction générale de ma thèse, comme pour mieux arborer avec fierté cette ancienne tare. J’en parlais aussi à mon directeur et je l’évoquais plus tard dans plusieurs de mes conférences, réinvestissant ainsi cette performance de son sens originel de fierté.

*

’est au même moment que j’ai forgé le concept des scripts corporels qui est, je crois, la synthèse de toutes ces tribulations corporelles. S’y reflète la force ambivalente de l’imaginaire et les fictions, comme présupposés figés sur les corps ; mais l’imaginaire peut aussi être puissance subversive et mouvante qui crée d’autres images et narrations des corps, déverrouillant ainsi le regard. Ce concept s’enracine aussi dans mon expérience du regard dominant sur mon corps : j’ai trop longtemps regardé ceux et celles qui me regardaient, en essayant d’imaginer ce qu’ils et elles s’imaginaient de mon corps. J’aurais souvent voulu leur demander : « que croyez-vous voir de moi ? Que croyez-vous lire en mon corps ? ». Peu à peu, j’ai compris que l’imaginaire structurait le regard. Tenter de mettre en exergue cette structure imaginaire, c’était faire en sorte que le regard dominant se regarde en train de regarder les corps dominés. Il est temps de retourner le miroir.

Je n’ai plus la sensation d’être un corps monstrueux ; je suis plutôt un corps qui s’est appris, s’est exploré et conquis. Un corps qui ne s’est pas ennuyé à être un corps trop sage et qui se réinvente dans sa narration, par-delà les images qu’on tente d’apposer sur sa peau. Maintenant, j’arbore fièrement mon corps indocile.

 

2 commentaires sur “Un corps qui a appris l’indiscipline.

  1. Quand je vous regarde danser, je cherche…

    Quand je vous lis, j’apprends…

    Merci pour votre travail, puisse t-il être lu par le plus grand nombre!

    Bien à vous

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  2. c’est le premier message que je poste, mais j’ai lu tout ce que tu a écris et je trouve que tu écris très juste et très bien. Je souhaite devenir chercheuse, et j’aimerais réussir à écrire comme toi (et comme Elena Chamorro).

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