Un seul être vous manque ; et tout est repeuplé. Tout se repeuple différemment. Les intensités, les polarités, les attractions et les échéances.
Tu vois, je ne meurs pas quand je te quitte ou quand tu pars. Tu n’es pas tout pour moi. Tu ne me sauves pas car, entre l’envie de l’autre et le besoin de l’autre, je choisis avec toi de sculpter mon envie. Mais comment te montrer mon envie de toi, sans que tu ne la confondes avec un besoin ? Comment me laisser aller à m’en remettre à toi quand tu lis en mon corps une demande de soin, d’aide, d’attention, de charité, de pitié ?
A mon corps défendant, à mon corps dépendant, dois-je ne pas laisser tant de moi en toi, alors que l’élan de l’amour m’y pousse. Dois-je me méfier de toi et de ton regard sur moi quand je voudrais être au contraire spontanée et joyeuse ? Dois-je me rectifier sans cesse en train de t’aimer ? Dois-je préciser sans cesse : « je t’aime, mais tu ne me soignes pas ; je t’aime, mais d’autres choses m’emplissent et donnent de l’intensité à mon existence ; je t’aime, mais ma solidité ne repose pas (que) sur toi ». T’aimer est épuisant pour moi ; ne le comprends-tu donc pas ? Je dois constamment être sur mes gardes et me méfier de ton regard de prince-sse charmant-e qui voudrait voir en moi une fragile chose à sauver des griffes du dragon ou d’une existence tragique.
On voit les gestes que tu fais pour me soigner ou m’aider et on te dit que tu as bien du courage de m’aimer – et tu sembles le croire. On ne sait pas pourquoi tu veux bien être avec moi. Sont effacés les mots que je te dis, la bienveillance de laquelle je t’entoure, ma présence pour toi. Sont oubliés tous les efforts que je te destine et tous les soins que je te prodigue. On me dit que tu es et seras seul-e à bien vouloir m’aimer – et je crois au contraire que tu ne sais pas m’aimer, ni me regarder. On ne me demande pas pourquoi je t’aime. Ton amour pour moi est héroïque et généreux, puisque tu as juste envie de me concéder un peu de ton temps ; mon amour pour toi va de soi, puisque j’ai besoin de toi et que tu m’es nécessaire. Mais ai-je toujours envie de toi dans ma vie ? Voudrais-je encore t’aimer ?
Avec toi qui ne savais pas m’aimer, j’ai appris à aimer. On sait que l’amour est politique ; les façons d’aimer aussi.