Scripts corporels et normes

Il y aurait deux types de scripts corporels. Le premier type désignerait des scripts corporels qui prendraient le corps des dominants comme modèle et mètre-étalon et aurait donc une valeur normative assez forte. Cela peut se traduire par des injonctions du voir et du montrer des corps, qui détermineraient la légitimité (ou non) des corps ou de pratiques corporelles, à apparaître dans l’espace public. Les scripts corporels de premier type définiraient la légitimité du « voir » et du « montrer » de certains corps et pratiques corporelles, les corps qui peuvent entrer ou non dans le champ du visible et du montrable. On peut penser aux hommes qui peuvent être torse-nu dans la rue et pas les femmes. On peut aussi penser aux couples hétérosexuels qui sont sans cesse représentés sur les affiches publicitaires, alors que des affiches montrant explicitement des couples homosexuels posent encore problème dans certaines municipalités. Ou, enfin, les femmes voilées…

Il y a un second type de scripts corporels. les façons dont le regard dominant va raconter les corps des dominé-e-s, les narrations qui vont s’élaborer autour de ces corps à partir du point de vue dominant. Par exemple, un corps féminin va être d’emblée vu comme délicat, faible ou suscitant du désir. Un corps homosexuel, comme perverti, dépravé, malade. Le corps de la femme voilée, lui, sera raconté comme empreint d’une trop grande religiosité et/ou soumis à l’archaïsme et devant être émancipé. Ces narrations préconçues sur les corps dominés vont engendrer des attentes : on attendra d’une femme qu’elle se prémunisse elle-même du désir masculin et/ou qu’elle se conforme au récit qui est fait de son corps, vu d’emblée comme objet de désir. Les scripts corporels peuvent aussi engendrer des inattentes.  Par exemple, le corps inattendu des personnes handicapées dans l’espace public et dans l’univers des représentations : ces corps sont très peu représentés et donc, très peu présents dans les imaginaires, ou quand ils sont présents, ils sont racontés de manière très rigide et précise.

Pour conclure, je filerai la métaphore du médium optique : les scripts corporels, concept que j’ai voulu très plastique pour pouvoir penser la domination qui s’exerce sur chaque corps, permettent de constater et d’expliquer les effets de réfraction et de diffraction qu’engendrent les narrations préconçues produites par le regard dominant sur les corps, comme des reflets déformants.

Penser les scripts corporels, c’est  interroger du regard les effets d’optique de l’œil dominant.. Que les corps féminins, les corps homosexuels, les corps lesbiens, les corps handicapés, les corps racisés, les corps prostitutionnels, les corps trans, les corps des femmes voilées, etc., retournent le miroir pour que le regard dominant se regarde en train de les regarder !