Premier atelier dragking et fabuleuse expérience d’empowerment. Cela m’a fait l’effet d’une explosion intérieure, comme si les accroches qui me retenaient encore avaient toutes sauté.
Mon King s’appelle Léo. C’est un latino, assez macho, bourré de testostérone et d’assurance en lui. C’est le mec puissant par excellence. Très poilu – sa pilosité m’effraie moi-même -, tout le temps en érection, ce qui, avouons-le, n’est pas très pratique pour bouger les jambes. Son corps, parfumé à l’eau de Cologne bon marché, bouillonne de virilité brute et sans raffinement, d’une masculinité qu’en tant que féministe, je moque. Mais j’aime être Léo. Lorsque j’enlève mon packing et démaquille ma barbe, je me sens nue tout à coup.
J’aime être Léo, mais même lorsque je ne suis pas lui, sa puissance reste en moi. C’est comme si l’atelier avait (ré)activé des espaces en moi, espaces que je nomme Léo, mais qui sont beaucoup plus vastes qu’un personnage de King. Un soir, après l’atelier, je suis allée boire un verre avec des copines ; et j’ai pu rembarrer la » relou de la soirée » (vous savez, la meuf bourrée, ou pas, qui se plante devant moi et qui pose pleins de questions sur moi, et à laquelle j’ai droit presqu’à chaque fois que je sors). Léo me fait du bien. Il me permet de m’affirmer à nouveau. Entre lui et moi, c’est l’amour fou…
Mais ce que je ne m’explique pas encore, c’est ce qui fait que j’ai besoin d’aller puiser cette puissance-là dans un personnage dominant, dans le phallus triomphant. Pourquoi mes œstrogènes, mon vagin, ma pilosité moindre ne me suffisent-ils pas pour déployer cette assurance, cette confiance, cette force ? Peut-être faut-il passer par le biais d’un autre, par l’invention d’un autre, pour s’activer soi-même ?
Il y a une autre question qui a émergé en moi. Y a-t-il une dimension genrée dans l’éducation corporelle des enfants handicapés ? C’est, je crois, une question importante. Le corps valide déploie sa masculinité ou sa féminité selon des gestes, des postures et des attitudes corporelles que l’on décode comme masculin et féminin. Le corps handicapé, lui, a des logiques différentes qui font qu’il est sexuellement indécodable, selon les normes. Quand je suis Léo, je dois construire autrement sa masculinité que par les postures corporelles – à part me tenir avachie, jambes écartées, et prendre plus d’espace que quand je suis Noémie. Au fond, je crois que mon corps a été élevé en fille. M’aurait-on rééduqué à marcher de telle manière, si j’étais née garçon ? M’aurait-on appris à me tenir dans l’espace de telle autre manière, si j’avais eu une verge ? La présence de Léo change la donne.
J’ai toujours eu l’impression d’être handicapée, avant d’être femme ; que le handicap passait toujours devant mon sexe biologique ; et au fond, j’ai du mal à me sentir femme. Peut-être parce que, dans la rue, on me reconnaît d’abord comme handicapée, et non comme femme. Handicap, trompe-l’œil monolithique. Il ne faut pas oublier que les corps handicapés sont angélisés. Corps sans sexe, corps sans sexuel. Corps éthérés. Corps hors du monde. Peut-être parce que, tout simplement, ils échappent aux habitudes de lecture des codes corporels ordinaires. Corporéités dissidentes, que ces corps handicapés.
J’aime me dire lesbienne. J’aime mettre mon homosexualité en avant, car, par ce biais, voilà mon corps resexualisé, le voilà de retour dans le champ du sexuel. Le voilà à nouveau puissant par l’affirmation de sa sexualité, d’une de ses parties qui a été effacé par le regard social. Je me sexualise et j’affirme la puissance de mon corps. Empowerment du sexuel.
Mais, au fond, Léo, n’est-ce pas une autre façon de me sexualiser ? Dire : » Regardez-moi, je peux jouer à être un autre sexe « , n’est-ce pas dire, en fin de compte : » Regardez, j’ai un sexe, moi aussi « . Maîtrise du regard qui, d’ordinaire, m’accable.
Alors que, toujours barbue, j’attendais le métro pour rentrer chez moi après l’atelier Dragking, une femme me regarde et me dit : » J’adore ce délire. « . Je souris. Car elle avait vu ma barbe.
[…] fictive pour activer une vérité de soi que, jusqu’alors, on méconnaissait. Que ce soit Léo qui me permet d’explorer mes territoires du non-elle, ou Nerga avec qui j’explore mon corps […]
J’aimeJ’aime