Revenue de Paris, je mangeais un soir avec mon meilleur ami à qui je racontais mes impressions lors de la table ronde de clôture de la Queer Week. Lui-même y avait assisté et avait été étonné par le ton ironique que j’avais employé tout le long. Il n’est pas le seul, à en croire les retours que j’ai eus à propos de ce moment-là.
Devant mon meilleur ami, j’évoquais alors la puissance que l’on ressent à faire rire. Cela m’a paru tout d’abord une banalité énoncée à la va-vite ; mais je me suis souvenue d’un entretien que j’avais eu, dans le cadre de ma thèse, avec deux activistes féministes qui usaient de l’humour et de l’ironie dans leurs actions. Elles m’affirmaient que l’humour et l’ironie étaient des éléments d’empowerment qui leur permettaient d’apparaître, non plus comme des victimes subissant l’oppression, mais plutôt comme des sujets actifs qui renversaient les rôles.
Sur la scène de la Queer Week, l’ironie que je mettais entre les autres et moi, me protégeait d’une certaine manière. Sur scène, il y avait ce corps qui se représentait dans une posture où on ne l’aurait jamais attendu, dans une signification inhabituelle. Tout corps, lorsqu’il se met en scène, se représente lui-même, mais aussi des affects, un personnage, une histoire ; il est à la fois signifié, mais aussi – et surtout – signifiant. Sur scène, mon corps devenait à son tour signifiant ; il ne subissait plus le sens qu’on aurait voulu lui donner, mais il le produisait, échappant ainsi à tout cantonnement dans des images stéréotypées. Sur scène, j’ai modifié le regard, un instant. On rit du corps handicapé, presque toujours à ses dépens. Il est dans une position de passivité. Mais en lui-même, il n’est pas drôle. Quand on rit de lui, ce n’est pas moralement autorisé. Le corps handicapé semble privé d’un potentiel humoristique. Or, que se passe-t-il si ce corps se décide lui-même capable d’être drôle, de se créer dans une situation humoristique dont il n’est pas le centre, d’être sujet actif de l’humour ?
Dans la salle, ils et elles ont ri avec moi. Le rire que je déclenchais volontairement me protégeait car, à travers lui, je me constituais un personnage ; mais ce rire n’était pas un écran qui me coupait du reste de la salle. En faisant rire ceux et celles qui étaient devant moi, je suis allée au-devant d’eux ; ils m’ont rejointe ; et, riant à gorge déployée, ils acceptaient ma puissance qui émergeait sous leurs yeux.