Un langage commun ?

Aujourd’hui, je vais écrire un article qui, j’en ai bien peur, posera davantage de questions qu’il ne proposera des réponses. C’est tout aussi bien ainsi, il me semble.
Je voudrais commencer, en évoquant le paradoxe de Wollstonecraft, du nom d’une femme de lettre et féministe anglaise du XVIIIème siècle. Mis au jour par la théoricienne du politique Carole Pateman, ce paradoxe décrit les contradictions que connaît toute minorité qui veut lutter contre les discriminations et ainsi, accéder à l’égalité. Pour arriver à faire entrer sa spécificité dans la neutralité, dans la banalité – la couleur des yeux est banale ; avoir un vagin ou être assise sur un fauteuil roulant, non. On pourrait consacrer toute une vie à étudier les processus de territorialisation du banal sur le corps. Pourquoi telle spécificité d’un organe se voit-elle banalisée ? Pourquoi telle autre devient-elle propice à la stigmatisation et la structuration d’une hiérarchie sociale à partir d’elle ?  – ; pour atteindre la banalisation d’une spécificité, disais-je, il faut donc tout d’abord en passer par une étape de visibilisation des discriminations dont la spécificité est l’objet ; et de conscientisation des rapports de domination qui se construisent à partir de cette spécificité. C’est-à-dire que, pour dénoncer une discrimination, il faut mettre en lumière le groupe discriminé. Ce faisant, on semble accentuer des différences, contribuer à l’essentialisation d’un groupe, alors que, par ailleurs, on combat ces tendances différentialistes.
Cependant, le dilemme de Wollstonecraft n’est paradoxal qu’en apparence et peut très vite se résoudre si l’on ôte toute confusion dans les différentes catégories d’analyse, à savoir les catégories cognitives et les catégories critiques. Les catégories cognitives, ce sont les préjugés naturalisés. C’est ce qui semble avoir « le naturel de l’évidence et l’évidence du naturel », mais dont on se rend compte, après avoir mis au jour le caractère construit, qu’il n’est pas si naturel et évident que ça. Non, les femmes ne naissent pas inférieures aux hommes. Non, le handicap n’est pas un fait de nature.
Quant aux catégories critiques, c’est ce qu’on construit à partir d’un groupe humain qui existe déjà, réfutant son aspect naturel, son essence immuable, dévoilant sa réalité social à travers les discriminations qu’il subit.

Aujourd’hui, je vais écrire un article qui, j’en ai bien peur, posera davantage de questions qu’il ne proposera des réponses. C’est tout aussi bien ainsi, il me semble.
Je voudrais commencer, en évoquant le paradoxe de Wollstonecraft, du nom d’une femme de lettre et féministe anglaise du XVIIIème siècle. Mis au jour par la théoricienne du politique Carole Pateman, ce paradoxe décrit les contradictions que connaît toute minorité qui veut lutter contre les discriminations et ainsi, accéder à l’égalité. Pour arriver à faire entrer sa spécificité dans la neutralité, dans la banalité – la couleur des yeux est banale ; avoir un vagin ou être assise sur un fauteuil roulant, non. On pourrait consacrer toute une vie à étudier les processus de territorialisation du banal sur le corps. Pourquoi telle spécificité d’un organe se voit-elle banalisée ? Pourquoi telle autre devient-elle propice à la stigmatisation et la structuration d’une hiérarchie sociale à partir d’elle ?  – ; pour atteindre la banalisation d’une spécificité, disais-je, il faut donc tout d’abord en passer par une étape de visibilisation des discriminations dont la spécificité est l’objet ; et de conscientisation des rapports de domination qui se construisent à partir de cette spécificité. C’est-à-dire que, pour dénoncer une discrimination, il faut mettre en lumière le groupe discriminé. Ce faisant, on semble accentuer des différences, contribuer à l’essentialisation d’un groupe, alors que, par ailleurs, on combat ces tendances différentialistes.
Cependant, le dilemme de Wollstonecraft n’est paradoxal qu’en apparence et peut très vite se résoudre si l’on ôte toute confusion dans les différentes catégories d’analyse, à savoir les catégories cognitives et les catégories critiques. Les catégories cognitives, ce sont les préjugés naturalisés. C’est ce qui semble avoir « le naturel de l’évidence et l’évidence du naturel », mais dont on se rend compte, après avoir mis au jour le caractère construit, qu’il n’est pas si naturel et évident que ça. Non, les femmes ne naissent pas inférieures aux hommes. Non, le handicap n’est pas un fait de nature.
Quant aux catégories critiques, c’est ce qu’on construit à partir d’un groupe humain qui existe déjà, réfutant son aspect naturel, son essence immuable, dévoilant sa réalité social à travers les discriminations qu’il subit.

Partant de là, je me suis alors demandée pourquoi le mouvement handi était plus fort aux Etats-Unis qu’en France. Outre le fait qu’en France, on est toujours très long à la détente (ha ha !) et le morcellement du réseau associatif handi, ça tient selon moi à un facteur plus structurel. Je m’apprête à dire un truisme, mais les Etats-Unis ne connaissent pas les mêmes modalités de pensée qu’en France. La structure de pensée, aux Etats-Unis, a tendance à penser l’Etat comme un ensemble de communautés, qui ont des intérêts distincts les unes des autres, ce qui laisse la place à des revendications propres à diverses populations de se développer dans l’espace public. En France, on pense la nation, comme « une et indivisible » et que les individus doivent être intégrés, se fondre dans la communauté nationale. Deux conceptions différentes de la société, donc, qui, peut-être, expliquent un peu que le militantisme handicapé a peu d’écho dans la société française. L’idéal intégrateur ramène théoriquement chacun au citoyen blanc, hétérosexuel… et valide. L’idée d’une unité nationale et républicaine engendre une conception hyper-normative de la communauté nationale, ce qui délégitime la revendication d’intérêts propres à une population donnée. La France ne raisonne pas en termes de communautés et demeure assez fermée au concept de pluri-identité. C’est très bien dit là, à propos des populations noires, de l’afroféminisme, qui permet de penser les diverses logiques de domination, analysables en termes d’intersectionnalité, que subissent ces femmes, en tant qu’elles sont femmes et noires.

Vous me rétorquerez que le féminisme a réussi à se constituer en mouvement social, en France, via le M.L.F. Idem pour les luttes LGBT, plus récemment. Pourquoi cela a-t-il marché ?
A chaque fois dans ce blog, je compare le handicap à d’autres spécificités, le mettant en  relation et en perspective. Vous en avez l’habitude maintenant.
Selon moi, tout réside dans les différents enjeux de la monstration de soi dans l’espace public. Par des processus historiques différents, ces enjeux diffèrent selon que l’on place le curseur sur les luttes féministes et LGBT ou le militantisme handicapé, tant au niveau de la théorie qu’au niveau de la pratique. En effet, outre que la féminité était représentée comme tournée vers le privé, la théorie féministe, en se centrant sur la spécificité des femmes, avait à déconstruire l’idée d’universel en pointant que tout universel qu’il était, il n’en restait pas moins masculin. L’idée d’universel masquait en quelque sorte la hiérarchie qu’il y avait entre les sexes et masquait les femmes. C’est plus évident encore dans les luttes LGBT qui n’ont eu de cesse de vouloir visibiliser l’homosexualité dans l’espace public là où les discours dominants la présentait comme un péché, un crime, une maladie, une honte. L’enjeu était donc d’afficher la fierté homosexuelle, en la publicisant.
En ce qui concerne le handicap, il n’en va pas de même. Ce qui diffère du féminisme et des luttes LGBT, c’est qu’il y a toute cette mythologie du corps handicapé comme difforme, du monstre que l’on expose dans l’espace public, de curiosité que l’on regarde, d’un corps extraordinaire, que l’on met hors de l’ordinaire par un spectacle que l’on construit à partir de lui. Bien sûr, on ne peut nier que, comme les femmes et les homosexuel-le-s, le handicap doit se publiciser davantage, pour contrer la ghettoïsation symbolique dont il fait l’objet. Mais comment, alors, aller dans l’espace public, avec un corps aux logiques différentes, sans faire spectacle, sans apparaître extraordinaire, et donc inhabituel ? Comment renouveler la mise en scène de soi qui affiche sans stigmatiser ? Faut-il trouver un langage commun pour parler avec le reste de la communauté et être compris ? Adrienne Rich, poétesse américaine, exprime bien cette idée dans ces vers : « This is the oppressor’s language / yet I need it to talk to you » (C’est la langue de l’oppresseur / pourtant j’en ai besoin pour te parler). Il s’agirait donc de parler avec, afin de mieux se faire entendre

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